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Auguste Le DENTU: Nous couchons à Gémigny

Auteur : Poulot  Créé le : 01/05/2013 09:12
Modifié le : 12/03/2017 09:02
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Les lignes qui suivent sont extraites du livre d'Auguste Le DENTU

chapitre VII.

Elles sont reproduites ici avec l'aimable autorisation de Charles le DENTU

 

Nous couchons à Gémigny

 

Jeudi 1er décembre. – Le major B… revient de Rosières. Il a appris du général Barry que l’armée allait se mettre en marche. Dans quelle direction ? Le général n’a pas cru devoir le lui dire. Nous voilà bien avancés !

 

J’enfourche mon cheval et je cours aux nouvelles ; mais j’arrive trop tard. Plus un homme à Huisseau, ni à Rosières.

 

Des paysans m’indiquent la route qu’ont prise les troupes, sans cependant pouvoir me renseigner sur les mouvements du seizième corps, qui nous intéressent avant toute autre chose.

 

Je reviens tout désappointé à Chaingy ; après un rapide déjeuner nous nous mettons en route. Nous repassons par Huisseau et Rosières, piquant droit au nord. La nuit nous surprend à Gémigny. Nous entendons quelques détonations lointaines ; de temps en temps un obus éclate en l’air bien loin devant nous, et la gerbe de feu illumine un petit coin du ciel. Il parait qu’il y a eu un engagement d’avant-garde du côté d’Orgères, un peu au-delà de Patay dans l’Eure-et-Loir. On ne parle que de combats livrés sur la gauche et la droite de l’armée. Dans le doute, on se sent naturellement enclin à penser que l’issue de ces petites luttes partielles nous a été favorable.

 

Toujours la même difficulté pour avoir un gîte. Le détachement qui occupe le village s’est emparé de toutes les maisons. Le maire, un gros fermier, nous offre sa cuisine pour notre dîner improvisé, mais, pour la nuit, il ne peut mettre à notre disposition qu’une grange.

 

Depuis ce matin il fait un froid de Sibérie, au moins dix degrés au-dessous de zéro. Les chevaux restent sous un hangar en plein air. La grange où nous allons coucher est une glacière ; il manque un battant à la porte principale. Le vent s’y engouffre tout à l’aise et s’échappe en mugissant par deux ou trois petites fenêtres carrées, dont on a oublié de remplacer les vitres brisées. Impossible de faire son trou dans la paille, pour une bonne raison, c’est qu’il n’y en a plus une botte sur le sol. Je fus réveillé au moins trente fois pendant cette affreuse nuit par le froid qui me pénétrait, à travers l’épaisse peau de mouton dans laquelle j’étais blotti.

 

A certain moment, je sentis remuer quelque chose près de ma tête ; convaincu que c’étaient des rats, je me mis à frapper des deux poings la place où ils prenaient leurs ébats, sans parvenir à les mettre en déroute. Je commençais à m’en étonner dans mon demi-sommeil, lorsqu’une voix bien connue, celle de mon ami D…, me cria : « qu’est-ce qui te prend donc ? Est-ce que tu es fou ? » C’étaient ses pieds que je maltraitais de la sorte depuis quelques instants. Il n’y avait de rats que dans mon imagination engourdie par le froid.

 

Le lendemain 2 décembre, au petit jour, nous étions tous sur pied et réunis dans la grande cour de la ferme. Comme il eût fallu nous débarbouiller avec des glaçons, personne n’eut la velléité d’être propre. D’ailleurs, il s’agissait bien de cela. Un grand événement se préparait. Adieu les petites préoccupations de la vie ordinaire ! Nous en avions vu bien d’autres à Gravelotte ; après pareil apprentissage nous étions prêts à tout.

 

Sans retard, dans la demi-obscurité d’une aurore hibernale, et par un froid encore plus intense que la veille, nous reprenons notre marche vers le nord sur la route de Patay. Elle est interrompue à Saint Sigismond par le passage du dix-septième corps qui arrive sur la gauche. Un long cordon de troupes se détache sur l’horizon grisâtre. Les mobiles paraissent en somme assez bien équipés. On ne les entend pas se plaindre du froid. Il y a un certain entrain dans leur allure.

 

Nous n’arrivons que vers dix heures à Saint-Péravy, où nous traversons le dix-septième corps qui y fait sa grande halte. Les soldats préparent leur soupe. D’après de nouveaux renseignements, le seizième corps est en avant ; comme toujours, nous tombons au milieu des bagages et mes voitures sont obligées de prendre la file.