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Journal d'un poilu de Vilamblain à son fils: 1ère partie (années 14 et 15)

Auteur :  Créé le : 11/04/2021 18:19
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Gilbert CHAVIGNY ( 1881-1967 ) grand-père de notre ami Gilbert CHAVIGNY historien locale des communes de La Chapelle Onzerain et de Vilamblain, a entretenu une correspondance avec un ami de sa classe à Vilamblain, G CHATEIGNIER, en lui demandant de la transmettre à son fils René né deux mois après son appel sous les drapeaux

Ci-dessous la première partie de cette correspondance: les années 1914 et 1915

La Grande Guerre 1914-1918 Gilbert Chavigny (23.03.1881-12.07.1967)

 

18 décembre 1914,

Les balles sifflent, il y en a même qui ont percé ma capote. Mais ce qui m’épouvante le plus ce sont les grosses marmites (mortiers ?). Il y en déjà plusieurs qui sont tombées sur des sections, tu penses que ce n’était pas beau à voir. Mardi il en est tombé dans une tranchée où il y avait dix bonhommes, il y en a trois qui était en bouillie, on en a ramassé quelques morceaux dans une toile de tente pour les emporter et les enterrer plus loin.

Ils nous en envoient de temps en temps, quand on les entend arriver l’on se fourre le nez dans la terre.

Ce matin je descends des avants- postes, on est content quand cette corvée est finie nous sommes à 100 mètres des boches, ce n’est pas le moment de s’endormir, les nuits semblent longues.

Je suis dans la Marne à la frontière des Ardennes. Je commence à en avoir assez d’être dans ce pays, l’on est à la nage dans nos tranchées, l’on est obligé de mettre des morceaux de bois pour ne pas être dans l’eau, je ne sais pas comment l’on ne meurt pas.

Il y a quelques mois nos chefs nous promettaient que ce serait fini à Noël, je crois que c’est Noël 2015. Depuis 2 mois on ne fait aucun progrès mais cela n’empêche pas que les boches nous tuent des hommes, il en revient de temps en temps pour remplacer les tués, des hommes qui ont déjà été blessés.

On nous montre des journaux de temps en temps mais ils m’intéressent guère, ils ne racontent que des mentis pour nous encourager et trouvent des victoires où nous avons des défaites.

9 janvier 1915,

Si tu voyais ma position pour écrire tu en rigolerais, il y a de l’eau plein dans le bois que nous occupons, je suis monté sur deux fagots de bois avec mon papier à la main, enfin qu’est ce que tu veux on est à la guerre.

Depuis un peu nous sommes bien rude aux boches du matin au soir, on leur envoie des feux par salves, ils n’osent pas répondre de peur de se faire repérer par nos 75. Ils nous envoient de temps en temps quelques obus cela nous fait pas plaisir non plus. Depuis 8 jours ils reçoivent quelques mille obus, je ne sais pas comment ils peuvent rester sous un feu pareil, de temps en temps on leurs fait des prisonniers et tu sais ils en ont aussi assez.

Ils ont des ruses de guerre pas ordinaires et ils nous ont joué le tour plusieurs fois mais maintenant cela ne prend plus. Il y a quelques temps il y a des boches qui marchaient vers nous les bras en l’air pour se rendre et derrière, d’autres étaient cachés et portaient des mitrailleuses et quand ils étaient à bonne distance, ceux qui faisaient semblant de se rendre se couchaient et les mitrailleuses crachaient sur nous, tu parles d’une surprise qui nous faisait pas plaisir, nous qui croyons faire des prisonniers, et pendant que la mitraille nous tombait (dessus) les prisonniers se sauvaient, mais maintenant ils ne nous attrapent plus à ce petit jeu là, car ils ont beau lever les bras on tire quand même. Aux derniers combats ils nous avaient cédé deux tranchées et quand les nôtres ont été dans la deuxième, ils sont revenus dans la première par des boyaux et nous ont fait quelques prisonniers, et après ils s’en servaient pour se protéger en les alignant devant eux, cela était triste, nous étions obligés de tirer sur les nôtres. Après le bombardement que nous sommes entrain de faire, je crois que l’on va tenter quelques assauts à la baïonnette, mais combien ces assauts vont-ils encore faire de veuves et d’orphelins, ceux qui vont en revenir auront de la chance. Voilà les pays où on se retire de temps en temps, Dommartin-sous-Hans, Vienne-la-Ville, Virginy, Courtemont, nous sommes à 12 km de Ste-Ménehoult dans la Marne auprès des Ardennes

25 janvier 1915,

Ca ne va pas de mieux en mieux, nous avons un peu changé de place et nous n’avons pas gagné au change. Nous sommes dans les tranchées avancées dans les lignes boches, je ne compte plus m’en tirer, c’est un carnage effroyable, du matin au soir les balles nous arrivent de tous cotés, les marmites, les grenades, les crapouillots tombent sur nous à chaque instant, on entend des cris de tous cotés, on emporte des blessés ou des morts, notre tranchée est à 25 mètres des boches, des endroits il n’y a pas 10 mètres entre notre tranchée et celle des boches, la terre est couverte de cadavres, il y a une quinzaine de jours on a essayé une attaque mais elle n’a pas réussi et il en est resté 1220 des nôtres et tous ces cadavres qui sont devant nous entrain de se décomposer, le bord de notre tranchée est faite avec des cadavres, cela est affreux de rester du matin au soir devant ces corps qui commencent à sentir, ce n’est plus une guerre c’est un carnage, que quelqu’un qui ne voit pas, ne peut s’en faire une idée. Si tu voyais les marmites arriver, les craquements et le déplacement d’air nous soulèvent de terre. L’autre jour j’en ai reçu un éclat dans le dos mais il était à bout de portée, j’en ai été quitte pour une meurtrissure qui n’a pas duré longtemps, on voyait à coté de nous quand elles tombaient dans les tranchées, les corps de ces malheureux soldats voltiger dans les airs et quand l’on répare les tranchées éboulées on relève avec la terre des lambeaux de chair.

Nous avons depuis quelques jours des jeunes soldats et je crois que s’il y avait une attaque beaucoup n’auraient même pas la force de tirer, ils tremblent comme la feuille.

Je prends une petite prise (tabac à prisé), si tu pouvais m’envoyer maintenant la prise de Berlin, cela me ferait bien plaisir. Les journaux que tu vois te marquent du progrès de temps en temps mais tout cela il ne faut pas y croire, on tue beaucoup de monde et on n’avance pas du tout. Les tranchées que nous occupons en ce moment sont à Massiges, le Mesnil, Perthes, Hustuse, on traverse un petit fleuve, la Tourbe .

14 février 1915,

Il faut que je te parle un peu de la guerre, ce que j’ai à te raconter n’est pas beau. Le 3 février nous devions attaquer les boches pour prendre leurs tranchées et avoir le col des Abeilles à nous ce qui aurait fait un grand avantage sur eux. Notre attaque devait avoir lieu à 3 heures mais comme nous sommes entouré d’espions, les boches devaient être avertis si bien qu’ils nous attaquent avant, ils ont commencé par faire sauter une de nos tranchées à la mine et englouti la moitié d’une compagnie et aussitôt leurs mitrailleuses étaient placées dans le bout de nos tranchées et nous avons été obligés d’en céder trois. Le soir est venu des troupes à notre renfort et à minuit nous avons attaqué à notre tour. On a été par 3 fois à la charge mais avec leurs mitrailleuses ils fauchaient toutes nos lignes, on a repris seulement une tranchée et on a laissé 3500 tués. Les officiers disaient n’avoir jamais vu pareil carnage, les obus arrivaient par cinquantaine à la fois, on ne respirait que la poudre, c’était triste

d’entendre de tout coté, il y en a qui demandaient leur père d’autres leur mère, des pères de famille criaient ma pauvre femme, mes chers enfants, je ne vous reverrai pas, les mieux trempés étaient tout démoralisés, ce qui est le plus malheureux c’est que nous avons été obligé d’abandonner cette crête où on a eu tant de pertes, pour occuper d’autres tranchées plus en arrière et nous leur avons laissé aussi le village de Massiges, il n’y a pas un mètre où il n’y a pas un cadavre, le pauvre charretier de Prénouvellon a été tué dans ces combats. Quand j’ai ouvert ta lettre je me doutais qu’elle contenait de la prise, je l’ai ouverte avec précaution et bien pris une prise à ta santé.

25 février 1915,

Nous sommes enfin relevés des tranchées mais le pire c’est qu’il faudra y retourner, je suis maintenant dans la Somme et pas trop bien placé , le secteur que nous occupons a été longtemps tranquille et tenu par des territoriaux , quand les boches ont attaqué ils ont eu une fameuse peur et les boches avaient beaucoup avancé , pris un patelin ( Frise) et toutes les tranchées. On nous a emmenés en auto pour contre- attaquer. C’est le 22em colonial qui a attaqué le premier, ensuite le 24em et le 7em, on a repris une grande partie du terrain !!! mais on a eu beaucoup de pertes. Nous, nous sommes arrivés après et tu peux croire que nous en avons eu et enduré, les boches

ont bombardé pendant quatre jours sans arrêt, jour et nuit et il y en a eu beaucoup d’esquintés par les obus,

Moi, je m’en sens un peu, j’ai un éclat dans la joue gauche et un dans la fesse , mais malheureusement pas assez grave pour être évacué, malgré cela j’ai perdu beaucoup de sang, depuis que je suis blessé je ne fais rien mais cela ne m’empêchera pas de remonter aux tranchées quand on va y aller. On va nettoyer un peu les boyaux pendant que nous y étions, c’était affreux , la boue, on en avait jusqu’aux genoux et en plus il y en a beaucoup qui sont morts la dedans de froid et de faim.

Notre régiment qui n’a pas eu de combat, a laissé 400 hommes. Je ne sais si la guerre va durer longtemps maintenant, mais d’après les journaux, il me semble que les boches veulent donner leur dernier coup, ils attaquent partout, surtout du coté de Verdun où ils tapent dur en ce moment, ils ont déjà avancé sensiblement et le combat dure encore, je ne crois pas malgré cela qu’ils puissent percer notre front. Où nous sommes, le petit poste est à 9 mètres des boches, les boches qui étaient au petit poste ont laissé un paquet de cigares au nôtres et ils ont causé un peu avec eux, ils sont comme nous, ils disent en avoir assez mais ils ne voient pas la fin proche.

3 mars 1915,

Ta lettre est venue me trouver dans les tranchées à un moment où on n’en menait pas large car les boches nous bombardaient sérieusement et aujourd’hui nous sommes en repos pour trois ou quatre jours, on est heureux de pouvoir respirer un peu librement et d’entendre de loin cette mitraille. Il vient de nous arriver du renfort, ce sont des territoriaux, il y en a de 40 et 41 ans, tu penses qu’il la trouve mauvaise. Il faut que je te parle un peu de la situation, nous avons fait du progrès à Perthes et Beausejour , on a avancé de 3 à 4 km, on leur a envoyé quelque chose comme obus !!! et quand on a chargé !! nos canons donnaient toujours en rallongeant leurs tirs, on est arrivé à leurs tranchées, ils nous attendaient pas, car habituellement notre artillerie s’arrête et on pousse la charge après, ils étaient presque tous dans les abris, on les guettait sortir et on les fusillait à bout portant, le soir on s’attendait à une contre attaque d’eux, chose qui est arrivée mais on était prêt pour les attendre, il y avait 18 mitrailleuses de placées, on les a laissé approcher et une fois à bonne portée tous les moulins à café se sont mis donner, je t’assure qu’elles faisaient du bon boulot, ils ont été obligé de se sauver, mais nos 75 leurs ont fait la conduite. Depuis que je suis en campagne, c’est la première fois que nous leur faisons la conduite. A l’endroit où je me suis trouvé avant, on avait eu la frottée. Autour de nous il y a une artillerie formidable, nous avons dans notre secteur près de 200 pièces et il en arrive toujours, il doit nous arriver 40 pièces de gros calibre ces jours-ci, le grand coup va se faire je crois où je suis, si on peut percer leurs lignes, ils ne seront pas heureux.

9 avril 1915,

Pour le moment je suis dans la tranchée entrain de nettoyer des cartouches avec un chiffon, nous sommes dans les tranchées de 2em ligne, mais malgré cela les balles viennent vous y trouver ainsi que les obus, voilà 25 jours que nous y sommes sans être relevés et on ne parle point de vous remplacer, il serait pourtant temps que l’on se retire pour changer de chemise car les grenadiers (puces,poux) vont nous tomber sur le dos, il y en a déjà pas mal qui en ont !

Hier soir il y eut encore du grabuge devant nous à Beausejour ou Mirrancourt, j’ai encore eu la tremblote un moment car si la première ligne avait flanché il fallait que nous allions en renfort et quand on va en renfort on prend quelque chose comme marmites.

Enfin cela s’est passé sans nous ! Ce matin le bombardement a recommencé, à 2 heures les boches ont du encore essayer d’avancer, mais sous un feu comme ils en ont eu un, ils auront été obligé de rentrer dans leur trou, mais je crois qu’ils auront du avoir de la casse, on ne connait pas encore le résultat. Dernièrement on a fait deux prisonniers boches qui ont dit qu’ils avaient un corps d’armée chez eux de volontaires pour faire les attaques, je crois qu’ils peuvent s’amener, nos 75 les attendent, ils ont une réserve de 2000 obus par pièce, avec cela on peu tenir tête aux volontaires boches. Devant nous entre Perthes et Massiges il y a bien 20000 cadavres, tant boches que français, on ne peut les enterrer, la fusillade dure toujours !

24 avril 1915

Neuf mois nous séparent et combien faut-il en compter, combien de fois cette question se pose, mais personne ne saurait la résoudre et pourtant tous en ont assez, les boches sont comme nous et cherchent même à se rendre, mais ce qui nous fait du tort maintenant pour faire des prisonniers, c’est qu’il s’est produit souvent que les boches venaient pour se rendre et que l’on se faisait tirer dessus. Je ne me souviens pas si je t’ai parlé du combat que nous avons fait le 8, le matin il venait vers nos lignes une patrouille boche composée de 6 hommes, ils avaient demandé de faire cette patrouille complotant ensemble de se rendre prisonniers, mais nous, ne connaissant pas leurs intentions, on a tiré dessus et sur les 6 l’on en a tué 4 et blessé un et le dernier qui restait s’était couché, fut épargné, quelques minutes après il jetait son fusil et son équipement et venait vers nous les bras en l’air, on l’a laissé venir et on s’en est trouvé bien car il a donné des renseignements qui ont bien profité, il nous a dit que le soir à 5 heures ils devaient attaquer et que pour attaquer ils avaient en première ligne deux compagnies de volontaires, aussitôt notre artillerie fut prévenue de se trouver prête, le soir à 5 heures exactement, ils sortaient en masse de leurs tranchées, on nous a fait évacuer notre première ligne pour ne pas gêner notre artillerie et on les a laissé approcher un peu pour pouvoir mieux les avoir, quand il a été jugé qu’ils étaient assez avancés, on a envoyé un coup de téléphone et quelques secondes après les obus tombaient comme la grêle sur les boches, ils voulurent se sauver mais il y avait des batteries qui leurs coupaient la retraite par leurs feux arrières et les moulins à café crachaient ferme aussi, il ne s’en est pas sauvé un, quand on repris la place dans les tranchées, c’était affreux de voir la terre couverte de cadavres et de lambeaux de chair. Le lendemain à 2 heures du matin, ils revenaient à la charge, ils ont été encore reçus par les 75, mais ils avaient réussit à prendre un bout de tranchée, on ne pouvait s’en tenir là, le soir nous avons attaqué à notre tour. L’artillerie a bombardé pendant 2h et demi et au bombardement, on entendait plus les coups de canons, ce n’était plus qu’un roulement continu, un ouragan de fer et on voyait les boches sauter en l’air de la tranchée. On l’a reprise sans essayer d’aller plus loin, nous avons eu 8 tués et une vingtaine de blessés et les boches, d’après les observatoires, auraient eut 2200 tués.

A notre dernier séjour à Dommartin où nous allons de temps en temps, j’entendais le commandant qui parlait à mon capitaine : ils parlaient du secteur de Beausejour et Massiges et des pertes d’hommes, qu’il y avait eu 44000 tués de notre coté et les boches 100000 avec les blessés. L’on peut juger combien il en est resté, il est vrai que sur tout le front, c’était peut-être la plus mauvaise position, on se disputait une colline et il fallait à tout prix que nous la prenions car de cette colline les boches voyaient tout ce que nous faisions, maintenant l’endroit dominant, appelé le Fortin, est à nous et c’est nous qui peuvent voir ce qu’ils font de l’autre coté et souvent on leur prend des relèves sous les feux de nos batteries.

Pour le moment je suis au secteur du Bois d’Osie, c’est assez tranquille, jeudi soir les boches ont voulu attaquer à notre gauche à Ville-sur-Tourbe, ils ont commencé à bombarder violement nos tranchées mais quelques minutes après nos batteries se sont mises de la partie et n’ont cessé que le lendemain midi, leur attaque a échoué car sous un feu pareil ils n’ont pu sortir de leurs tranchées et ont du avoir des pertes. Il y a du avoir un combat dans l’Argonne à notre droite car les fusils mitrailleurs et canons n’arrêtaient pas de donner, à notre gauche la même chose mais c’était loin de Souain car on voyait le feu sans entendre les coups.

A Dommartin, où nous allons de temps en temps passer quelques jours, on a improvisé un théâtre dans une grange, j’y suis allé voir quelques fois mais cela ne me dit rien car on a toujours la pensée qu’il faut retourner aux tranchées où on entend un concert moins rigolo, cela a été fait pour remonter le moral des hommes pour qu’ils pensent moins aux horreurs de la guerre.

Hier soir j’étais de patrouille, une sale corvée, il fallait que nous allions voir combien les boches avaient de réseaux de fil de fer devant leurs lignes. Heureusement que nous avons pu faire entendre raison au cabot, on n’a pas été jusque là et on a dit qu’il y avait devant nous un petit poste boche et qu’ils nous avaient tiré dessus. Si on faisait tout ce qu’il vous commande, il en serait tué encore davantage. Je ne t’ai pas écris tout cela sans prendre une prise comme tu le pense bien.

30 mai 1915,

C’est dans les tranchées, appuyé sur un gabion, que je te trace ces lignes. Le temps depuis quelque temps a complètement changé et les beaux jours de la semaine dernière sont remplacés par la pluie et l’humidité ce qui fait que nous sommes un peu tranquille, les aéroplanes ne volent pas, l’artillerie ne tire guère !, on ne se bat pas.

Mais ce silence momentané n’avance pas les choses, hier le bruit courrait que les boches évacuaient Lille, c’est peut-être pour la détruire comme ils sont entrain de le faire de Reims.

Comme je sais que les événements de la guerre t’intéressent, je vais te parler un peu sur ce qui se passe, sur ce que nous faisons. Sur les journaux tu as du voir l’attaque de Ville-sur-Tourbe, c’est tout à coté de nous, les boches ont attaqué à 6h et demi en faisant sauter une mine, cela faisait une telle fumée que nous croyons qu’ils lançaient des bombes asphyxiantes, aussitôt les fusils et mitrailleuses étaient en marche, de jour en jour on attendait cette attaque, on les laisse entrer dans notre première tranchée et aussitôt on les encercle par des boyaux qui avaient été fait en prévision sur les cotés et à coups de grenades on les massacraient, ils ne pouvaient pas fuir car notre artillerie leur coupait la retraite par un feu d’enfer, ils ont été obligé de se rendre : les prisonniers passaient où nous étions par groupes de 10 à la fois, ils mouraient de soif, on leur a puisé de l’eau et l’homme qui l’apportait ne pouvait fournir à les abreuver.

Nous avons causé avec eux, comme ils étaient couverts de sang, nous leur demandions s’ils étaient blessés, ils répondaient non !: c’est camarade capout à coté de moi sauté en l’air, artillerie terrible !. malgré ça ils ne désespèrent pas, on leur fait toujours croire à la victoire, ils ne savent pas avoir reculé du coté d’Arras et croient l’Italie avec eux, il y en avait un qui parlait tout à fait bien français, on lui a donné en cachette un petit parisien, il pourra renseigner ses camarades !, devant les tranchées on a compté plus de mille cadavres boches, il y en a qui sont resté debout accrochés au fil barbelé. Nos pertes ont été de 42 tués et environ 250 blessés, quand les prisonniers sont passés, les artilleurs nous ont fait rire sur leur passage, ils avaient rangé une quantité de gros obus et avaient fait des caricatures de boches entrain de sauter en l’air, tu peux croire qu’ils regardaient ceci de coin et étaient content de se sauver.

Depuis quelques temps on prend dans les régiments tous les hommes qui ont servi aux pompiers, ils doivent venir aux tranchées pour lancer des liquides inflammables aux boches, c’est de plus en plus affreux. Nous faisons de temps en temps des essais de bombe asphyxiante, mais nous, nous n’en sommes pas encore servis. En échange de la prise je t’envoie un brin de muguet !!

5 juin 1915,

Je ne suis plus dans la Marne, nous sommes partis le 17 juin, on a fait une quinzaine de km à pied pour aller prendre le train à Chalons en plusieurs étapes et le lendemain il y avait contre-ordre et nous sommes revenus sur nos pas pour prendre le train à Valmy, on a embarqué à 10 heures du soir et on a roulé jusqu’au lendemain à 4 heures de l’après midi, on en avait assez de cette trimbale. Nous étions dans des wagons à bestiaux et empilés comme des harengs, 42 par wagons, quand nous avons embarqué on croyait aller au repos à Paris mais le train ne s’y est point arrêté, tu peux croire comme cela nous a fait mal au cœur. On est descendu à la gare de Morienval à 4 heures et de là nous avons marché jusqu’à 11 heures du soir pour aller à Hautefontaine où nous sommes cantonné pour le moment, le pays se trouve entre Compiegne et Soissons à 18 km de chaque ville. Les pays sont bien plus riches que dans la Marne et les gens plus plaisants et de temps en temps on trouve à acheter un peu de vin, nous sommes toujours sur le qui vive et prêts à partir à chaque moment, je ne suis plus en première ligne, il y a une masse de troupe devant nous, je crois qu’il va se tenter un grand coup sous peu, mais je ne crois pas que se soit nous qui donnions le premier assaut, ils ferait pas mal de nous ménager un peu, suivant le dire de l’officier, ce serait la Coloniale qui aurait eu le plus de pertes, on compte chez nous 68 pour 100 de morts, ce serait les deux tiers que nous aurions perdus.

Depuis quelques temps les russes reçoivent de fameuses frottées, ils viennent de perdre une place forte d’une grande importance et suivant les dire leurs lignes seraient percées, les prisonniers boches nous disaient qu’il n’y avait que la France qui les tenaient et ceci est bien vrai, s’il n’y avait pas la France, ils pourraient battre toutes les autres nations qui sont contre eux !. l’Italie marche pour le moment mais maintenant qu’ils tiennent les russes, ils vont fichent un coup sur l’Italie, sur nous je ne crois pas qu’ils essaient de percer car ils savent qu’il y a de l’ouvrage à faire !

7 septembre 1915 :

En subsistance 1er Génie : Compagnie 22-4 : 15 escouade

Secteur 14

Que deviens-tu ? Il y a plusieurs mois que je n’ai eus de nouvelle, je pense que c’est les travaux de la moisson qui prennent ton temps. Depuis un mois je ne suis plus à la coloniale et pour changer je suis plus mal, je suis au 1er Génie et je t’assure que nous faisons du triste travail, on fait des mines et à chaque moment il faut s’attendre à être englouti. Je trouve le temps long de rester 8 heures dans ces trous sans remonter surtout que nous entendons les boches creuser à coté de nous, on reçoit de temps en temps de fameux bombardements, dernièrement ils nous ont envoyé des gros obus de marine, des 280, tu penses des craquements que cela faisaient, il y avait des trous de 10 mètres de large et 2,5 de profondeur. Il faut se méfier, ils décachètent les lettres, il doit se préparer quelque chose de pas ordinaire !!/

11 septembre 1915,

Enfin me voici sortis encore une fois des affreux combats qui viennent de se dérouler, c’est à ne pas croire les massacres qu’il y eut, j’suis encore tout énervé et je tremble en te traçant ses lignes. Nous avons été relevé hier dans la nuit, ce qui nous a fait seize jours d’enfer nous ont vieillis de plusieurs années, pour moi mes cheveux ont blanchis, c’est extraordinaire en si peu de temps comme on peut changer. C’est le 25 à 9 heures du matin, que nous avons attaqué, nous avions une charge de 700 ou 800 mètres à faire pour arriver aux tranchées boches, tu vois qu’on pouvait être tué avant d’arriver à la côte, il est vrai qu’il en est resté plus d’un 1000 avant d’arriver au but. La terre était couverte de cadavres quelques jours avant l’attaque, on nous avait dit que l’artillerie avait tout bouleversé les tranchées et tué les boches et qu’il n’y aurait presque rien à faire, il n’en était point ainsi, les boches nous attendaient avec leurs mitrailleuses et fauchaient nos lignes comme on fauche le blé chez nous, on a réussit quand même à prendre pied dans leurs tranchées et nous avons pris à coup de bombes et de grenades cette crête qui depuis un an était habitée par les boches, ils avaient des abris formidables de 5 à 6 mètres de profondeur fortement boisés et bien propres et comme provisions ils n’en manquaient pas, quoique on voudrait nous faire croire qu’ils crèvent la faim, il y avait des gardes manger bien garnis, j’ai regardé dans plusieurs, j’y ai trouvé de beaux saucissons, du beurre, des côtelettes de porc, du jambon, des pipes, des montres, des lampes électriques, je n’ai rien ramassé, j’avais peur d’être fait prisonnier. L’ histoire pourra en parler plus tard de ce que nous avons fait, les prisonniers boches en étaient épatés et ne croyaient pas que nous pourrions prendre cette côte, ils ont une frousse terrible des coloniaux, ils nous donnaient tout ce qu’on voulait, des briquets, des montres, de l’argent, des kamarades, kamarades en veux-tu en voilà. Nous sommes relevés d’hier, mais pas encore sauvés bien loin, il parait que des autos doivent nous emmener en arrière pour nous réformer ??

22 septembre 1915,

Sur ma dernière lettre j’ai du te parler que nous devions essayer un grand coup, ce fameux coup est commencé depuis ce matin à la première heure, le bombardement a commencé et il doit durer plusieurs jours en allant toujours en progressant, je crois que tous les boches qui sont dans les tranchées vont être zigouillés, ceux qui ne seront pas tués devrons en devenir fous. Je ne suis plus au génie, depuis quelques jours, la coloniale qui travaillait avec le génie, a été versée à la Section Hors Bourg et tu ne te figurerais pas ce que nous allons faire, nous sommes 35 à 40 et nous allons toucher chacun un couteau et un révolver, on suivra la colonne d’assaut et notre boulot sera d’achever les blessés boches, il n’y aura pas de kamarade-kamarade qui y fasse, il faut que tous y passent et dire que nous sommes dans un siècle de progrès, il faut progressé en tout même en barbarie . Je ne sais pas si on va réussir, mais tout est bien préparé, rien n’est oublié. En attendant que nous fassions la prise de Vougier, je vais en prendre une qui la prise de Villamblain, elle est moins difficile à prendre et plus agréable.

26 octobre 1915,

Comme j’ai un moment de disponible, j’en profite pour tenir ma correspondance à jour. Après avoir passé 16 jours de pareils combats, j’avais un peu espoir que ce soit tout pour nous, surtout pour un bon moment, mais il est point ainsi, depuis 3 jours nous sommes revenus aux tranchées et cette nuit il a fallu encore se battre, nous avions une tranchée à prendre, nous l’avons prise, sitôt après les boches ont contre-attaqué et nous l’on reprise, on a attaqué après et nous l’avons reprise une seconde fois, les boches ont encore contre-attaqué et nous ont encore repris un bout, nous avons attaqué une troisième fois pour leur reprendre et cette fois-ci on la tient, mais peut-être que ce soir ils vont revenir à la charge, tu peux croire que ceci n’est pas rigolo, nous avons encore eu 30 ou 40 tués et plus de 100 blessés, depuis ce matin ils ont l’air d’être fâchés, car ils n’ont pas arrêté de nous envoyer des marmites, et des fameux morceaux de terre en tremble de partout. Et quand donc cela finira ?la pauvre petite Serbie est entrain de se faire écraser, on lui envoie des secours mais ils ne sont pas suffisants. Je ne vois pas les choses bien claires et j’ai bien peur que nos troupes, français et anglais, qui sont aux Dardanelles, ne soient un jour rejetés à la mer, cette entreprise qui a échoué est bien mauvaise pour nous. Comme je vois cette guerre finira que quand il n’y aura plus d’hommes à tuer.

19 novembre 1915,

Dépôt d’éclopés du 1er corps colonial à Epensival.

J’aurai bien voulu t’écrire plutôt, mais je n’ai pas pu jusqu’à ce jour et pour cause d’un mal qui m’est venu au bras et qui m’a fait bien souffrir pendant une semaine, c’est une espèce d’abcès qui aurait pu devenir un flegmon s’il n’avait pas été soigné à temps, je souffre bien moins maintenant et je suis beaucoup mieux maintenant, je suis dans un dépôt d’éclopés à une vingtaine de kilomètres des lignes, d’ici une huitaine de jours je compte rejoindre mes camarades.

 

Suite de cette correspondance dans un prochain article