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La vie quotidienne dans ces trois communes en 1793 et 1794: Disette et loi sur le maximum

Auteur : Poulot  Créé le : 28/05/2013 15:25

 

La vie quotidienne à Chaingy, La Chapelle-Saint-Mesmin et Saint-Jean-de-la-Ruelle en 1793 et 1794 : disette et loi sur le maximum

 

Par J.C. DUMORT de Chaingy

 

Avertissement

Ce document élaboré suite aux recherches effectuées par l'auteur du présent article, indique le contexte dans lequel ce travail a été mené et liste les nombreuses archives qu'il a consultées.

RPLB

 

 

Un témoignage sur la disette : la pétition des citoyens de sept cantons du district d’Orléans

 

Un texte reproduit dans le registre municipal de La Chapelle-Saint-Mesmin atteste la pénurie de céréales régnant à l’époque dans la région viticole du Loiret. Il s’agit d’une pétition envoyée à la Convention nationale le 25 brumaire de l’an II (15 novembre 1793). Elle commence par « Les citoyens des communes et cantons de Chateauneuf, de Saint-Denis-de-l’Hotel, de Saint-Jean-de-Braye, d’Ingré, d’Olivet, de La Chapelle-Saint-Mesmin et de Fleury aux représentants du peuple à la Convention nationale. Salut et Fraternité ». Les pétitionnaires attestent d’abord leur attachement à la République et à ses lois et félicitent les législateurs pour la qualité de leur travail. Puis vient l’essentiel : le tableau de la pénurie dans la région et les interrogations sur les causes de ce qui est appelé tantôt famine tantôt extrême disette. « Nous abuserions trop longtemps de vos moments précieux si nous racontons tous les malheurs qu’ont produit et produisent parmi nous l’extrême disette où nous sommes réduits. Des hommes tués, d’autre meurtris et estropiés, des femmes enceintes blessées, d’autres étouffées par la foule, enfin des pères de famille désespérés de voir leurs malheureux enfants sans pain que nous n’avons pu obtenir jusqu’à présent qu’en exposant notre vie et en perdant un temps précieux au détriment de la culture et de nos travaux en tous genres. Comment se peut-il qu’au milieu de l’abondance qui nous environne nous éprouvions l’horreur de la famine ?  Peut-on simplement reconnaître les manœuvres perfides et odieuses des tyrans qui cherchent à nous ravir notre bien le plus précieux qui est la Liberté que nous devons à vos généreux travaux. Ces lois salutaires sur la subsistance pour arrêter la spéculation avide vue auparavant portaient que nul ne pourra acheter du grain que dans les marchés publics. Et bien ces marchés n’existent plus. Où peuvent donc s’approvisionner ceux qui ne sont pas propriétaires de grain ? Les administrateurs et les bons républicains s’est [se sont] attachés jusqu’à présent de maintenir l’esprit public, de calmer les inquiétudes de leurs concitoyens sur une dispute qui n’est réellement que factice. Mais, citoyens représentants, le peuple est à bout et devient sourd aux espérances dont on l’a nourri jusqu’à présent. Il nous dit « Partez porter nos justes plaintes aux représentants du peuple, dites leur que le département du Loiret dont la culture est en presque totalité vignoble et forêt, notamment le district d’Orléans, ne peut recueillir du grain que pour cinq mois de subsistance, que nous les tirions, les années précédents, des départements voisins, notamment de ceux d’Eure et Loir et de Cher et Loire1. Dites leur que, jusqu’à présent, on a calmé nos inquiétudes en disant que le ministre de l’Intérieur a mis en réquisition toutes les subsistances pour l’approvisionnement de l’armée et de la ville de Paris, que, d’ailleurs, le temps précieux des semences empêche le laboureur d’approvisionner les marchés. Mais que ces approvisionnements doivent être faits. [une phrase incompréhensible où il est question de nombreux enlèvements de grain dont nous sommes témoins et de malveillance]. Demandez leur qu’il soit enjoint au ministre de l’Intérieur de lever la réquisition des subsistances du département et de faire approvisionner nos marchés par les départements qui avaient coutume de le faire, [que] dans chaque chef-lieu de district soit établi une administration populaire pour le marché, [que] sera distribué à chaque commune des subsistances proportionnellement à la population. Nos demandes sont justes …. ».

 

Les mesures prises en 1793 : inventaire des céréales et recherches des fraudeurs

 

Nous trouvons dans les registres des mesures administratives prises localement soit pour satisfaire à des réquisitions, soit pour faire face aux pénuries de nourriture. La première mesure est un inventaire qui figure au registre de La Chapelle, en juin 1793. Il y a 23 déclarants qui détiennent en tout 45 mines de blé (18 hectolitres), 171 mines de farine (68 hectolitres), 40 mines de méteil (16 hectolitres), 42 mines de seigle (17 hectolitres), 12 mines de farine (soit 5 hectolitres, très probablement de seigle), 79 mines d’orge (31 hectolitres) et 8 mines de farine d’orge (soit 3 hectolitres). Sur ces 23 déclarants trois sont boulangers, un laboureur et un aubergiste. Notons que les quantités détenues sont faibles.

Le 14 juillet 1793 une assemblée des citoyens du canton se tient en l’église de La Chapelle. Elle a pour but d’élire un commissaire pour la « recherche et le recensement des grains et farines dans l’étendue du canton », en vertu du décret du 27 juin. L’élection est relatée sur deux pages du registre et dans ses moindres détails. Il y a 74 votants et Louis Duneau, dont on apprend par ailleurs qu’il est boulanger, est élu commissaire par 54 voix. Le résultat de son travail sur La Chapelle apparaît sur le registre de cette municipalité, en date du 27 septembre 1793. Six Chapellois déclarent détenir entre 6 et 30 mines de céréales (soit entre 240 et 1100 litres), qui du blé, qui du seigle, de l’avoine, de l’orge et encore du méteil. Duneau détient six mines (240 litres) de farine.

La tâche de recenser les grains et farines dans le canton relevait d’une commission de trois membres, un commissaire élu par les citoyens du canton, Louis Duneau et deux commissaires nommés par le district d’Orléans, Jacques Mothiron et Claude Martial. Le 7 octobre, tous trois se transportent chez le citoyen Laurent Blanchard du quartier d’Aurentay (Orentay) à La Chapelle. Sa femme est seule présente. « Lui ayant demandé si elle avait du bled, farine et autres grains. Nous a répondu qu’elle sortait de faire [signifie ici semer] le reste de leur blé et qu’elle n’en avait pas vu grain. Nous avons fait rechercher et nous avons trouvé un poinçon [tonneau] plein de blé, enfoncé et couché. Enserrés [coincés] deux poinçons neufs. Nous lui avons demandé ce qu’il y avait dans ces poinçons. A répondu: rien. Nous lui avons fait remarquer qu’ils sonnaient le plein. A, de même, persisté et soutenu qu’il n’y avait rien dedans. Ai demandé un vrillon [une vrille] au citoyen Husson, qu’il avait pris dans sa poche pour et au cas de besoin. Ladite femme a répondu qu’il n’était pas besoin de le percer et que c’était du blé qu’il y avait dedans. » Les commissaires demandent à la citoyenne Blanchard s’il y en a d’autres. Elle répond que non. Les commissaires continuent leurs recherches et trouvent un autre poinçon debout et défoncé avec environ quatre mille [unité manquante] de farine non blutée. Se conformant à la loi, ils déclarent confisquer les grains non déclarés et les laissent « à ses soins et gardes pour nous être présentés à première réquisition ». Ils citent le délinquant à comparaître le dimanche 13 prochain à la chambre commune. Le 13 octobre la municipalité de La Chapelle confirme la confiscation des grains non déclarés, qui seront vendus au profit de la commune.

Le huit frimaire an II, François Besançon boulanger à La Chapelle déclare trente-quatre à trente cinq mines d’orge pour la semence (autour de 14 hectolitres).

 

Les mesures prises en 1794 : bons de répartition et couplage d’une commune viticole avec une commune céréalière

 

En nivôse de l’an II (début janvier 1794), le maire prend un arreté créant la bourse commune de subsistances de La Chapelle ci-devant Saint-Mesmin qui comporte la liste de 16 citoyens ayant versé chacun 50 livres. Le 10 floréal (20 avril), il fait prendre une voiture de grains au grenier d’Orléans pour la subsistance de ses administrés. Le même jour la municipalité doit élire un « cultivateur éclairé » comme correspondant chapellois de la commission des subsistances du district. François (nom illisible) est nommé. Deux jours après elle désigne deux personnes, dont une femme –chose rare à l’époque-- comme agent pour la répartition des secours aux « vieillards et pauvres indigents » et le 20 messidor (8 juillet) la somme de 488 livres est partagée entre 45 indigents.

Le 15 fructidor (1 septembre 1794) l’assemblée municipale de La Chapelle reçoit du district d’Orléans l’avis d’avoir à retirer du grain à Gidy et à le distribuer pendant les deux décades des vendanges. Le 20 fructidor elle désigne Sagot, agent communal, pour aller à Gidy afin d’activer la moisson et d’accélérer la livraison du grain. Elle réserve 500 livres pour payer ce grain. Mais cela ne va pas aussi vite que souhaité et, le 30 vendémiaire (21 octobre), l’assemblée municipale se réunit pour désigner, « en échange du blé », 24 batteurs « qui battront chacun 4 mines [160 litres de grain], sans désemparer à partir de demain premier brumaire ».

En ce qui concerne Chaingy, c’est à Cercottes que cette commune peut trouver du grain en échange de la prestation de 12 jeunes gens pour le battage2. Cette opportunité est présentée comme une initiative du citoyen Gravelle.

A La Chapelle on trouve encore trace de distribution d’aide en 1795. Le 16 germinal an III (5 avril 1795) des subsides sont fournis pour l’achat de pommes de terre. Cinq personnes de la commune en reçoivent chacune vingt-cinq livres. Une nouvelle distribution de subsides est faite le 20 messidor an III (8 juillet 1795). Il y a trente-cinq bénéficiaires pour une somme totale de 428 livres.

Voici les quelques informations que nous avons pu rassembler sur une période qui dut être difficile pour nos communes viticoles, qui ne produisaient que fort peu des céréales indispensable à l’alimentation quotidienne.

 

Mesures administratives liées au décret sur la taxation au maximum

 

Précisons, au préalable, que nous ne sommes pas aptes à disserter sur les liens entre la disette et les mesures prises en vertu du décret sur le maximum, sujet qui donne lieu à d’âpres discussions entre historiens. Nous nous contenterons de relater les mesures prises par la municipalité de La Chapelle pour appliquer localement, selon les ordres de l’administration du district, le décret sur le maximum.

On trouve d’abord la fixation du prix revenu du travail. Le troisième jour de la première décade du second mois de l’an II (3 brumaire, soit 24 octobre 1793), l’assemblée municipale de La Chapelle fixe le prix des journées dans le cadre du « décret de la Convention nationale qui taxe le maximum de toutes les denrées marchandises de première nécessité et le prix du travail ». « Les journées d’homme depuis la Toussaint jusqu’au premier mars [sont] taxées à quinze sous et nourri ». Le tarif du premier mars au premier novembre est de vingt sous nourriture en sus. Les semainiers, personnes qui travaillent chez un propriétaire un jour par semaine sont payés trente-six livres si leur engagement court du 1 novembre au 22 juillet et cinquante-cinq livres s’il court toute l’année. On est un peu en dessous de la livre par jour de travail, mais s’ajoute une garantie de l’emploi. «Les engagements d’homme pour l’année occupé à la culture de la terre taxée à 180 livres et logés. Les engagements de femme ou fille pour l’année occupée à l’état du vignoble taxée à cent vingt livres et nourrie, les façons de vigne dans l’intérieur de la commune taxée à la somme de quarante-cinq livres l’arpent ». Le 10 messidor an II (29 juin 1794), le maire fixe le prix de la « coupe de grain » mais le texte qui fait référence aux rémunérations de 1790 est illisible.

Le décret sur le maximum obligeait à déclarer la détention de certaines marchandises. On note, toujours à La Chapelle-Saint-Mesmin les déclarations suivantes :

-Le 18 août 1793, Claude Martial Husson, marchand au bourg déclare le bois (probablement à faire des tonneaux) qu’il détient ;

-Le 28 août, Duneau déclare 75 à 80 poinçons de vinaigre, soit 170 à 180 hectolitres3 ;

-Le 28 août, Etienne Baudenuit déclare des cercles à tonneaux ;

-Le 25 septembre, Daviau, laboureur à la Bouverie -la plus grosse ferme de Chaingy- déclare stocker à Vaussoudun 76 mines de seigle. (une trentaine d’hectolitres) ;

-Le 6 octobre, le citoyen Boucher, boulanger, déclare détenir 300 poinçons dont 250 à vendre ;

-Le 3 brumaire an II (24 octobre), deux marchands de vin d’Orléans déclarent détenir chacun 300 poinçons neufs dans le magasin de Lesailly. Ce tonnelier devait avoir une affaire florissante pour détenir ainsi 600 poinçons. Il pratiquait aussi le négoce du vin puisque huit jours après il déclare avoir acheté quatorze poinçons de vin (soit 32 hectolitres) pour le compte du citoyen Bouvet, cabaretier au marché au beurre de Versailles.

 

On peut comprendre l’intérêt économique des déclarations ci-dessus. Mais c’est plus difficile pour les deux déclarations suivantes, celle de Pierre Benard, marchand fripier datée du 11 août 1793, et celle d’Etiennet père, le 28 août, toutes deux sous la forme d’inventaires très détaillés. La déclaration d’Etiennet, portant sur des tissus, des vêtements et des colifichets, occupe deux pages et demi du registre.

Conséquence paradoxale, en pays viticole, du décret sur le maximum, les cabaretiers de Chaingy ont du mal à s’approvisionner en vin. C’est ce qui relève de la copie d’une lettre au district figurant dans le registre de cette commune en date du 10 vendémiaire an III (1 octobre 1794).

 

1 L’actuel Loir et Cher.

2 Registre de Chaingy, 2 vendémiaire an III.

3 La vinaigrerie Duneau n’était sans doute pas un modèle de salubrité : le 23 janvier 1791 cinq vignerons se sont plaints que des eaux s’écoulent de la manufacture de Duneau dans le chemin public et dans leurs vignes. Notons par ailleurs que le terme de poinçon désigne à la fois une mesure de liquide et un fût, d’une contenance de un poinçon, soit 228 litres dans le bailliage d’Orléans. Le contexte seul permet de savoir s’il s’agit de liquide ou de fûts vides.