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Mémoires d'Edmond F. LEHOU, Juge de Paix à Patay: l'année 1940

Auteur : Poulot  Créé le : 02/11/2013 12:08

Avertissement:

Ce Journal-Mémoire du Juge de paix de Patay E. LEHOUX a été retrouvé fortuitement dans les archives de la famille DESCAUSES qui exploitait , à l'époque le Café du Commerce sur la place des Halles à Patay. Il commence le jour de la mobilisation générale le 2 septembre 1939 et se termine en août 1940 après la mort de l'auteur.

Ce document est un témoignage capital de cette époque trouble des années 1939 et1940.

Ci-après la deuxième partie : l'année 1940

 

ANNEE 1940

L’année débute par un froid rigoureux jusqu’à 22° sous zéro sur le front. Nos soldats venus en permission et dont la plupart sont venus me voir ont un moral excellent. Ils ne se plaignent pas de la nourriture ni de la régularité dans le ravitaillement. L’inaction leur pèse mais comprennent qu’une grande offensive ne peut être que le fait de l’ennemi surtout qu’ils savent que notre matériel est d’une puissance telle qu’aucune attaque ne peut les surprendre et qu’ils ont une foi absolue dans la victoire. D’ailleurs jusqu’ici toutes tentatives de la part des «boches» sont demeurées sans résultat et de partout le courage de nos défenseurs s’est avéré admirable et plein d’espérance pour l’avenir.

Cette nouvelle année ne doit pas nous prendre au dépourvu et dès maintenant il faut penser aux approvisionnements de toutes sortes et de toutes natures pou faire face aux besoins de nos soldats. C’est ainsi que nous commençons par l’achat de laines nouvelles qui va permettre avant la nouvelle saison de tricoter passe-montagne et chaussettes que les poilus affectionnent le plus. Puis la préparation de divers colis pour ceux rentrée dans les secteurs après un stage à l’arrière.

Au début de cette année la Finlande se couvre de gloire et fait l’admiration du monde entier par sa vaillance et son courage à défendre sa petite patrie contre la Russie de Staline qui veut l’asservir et la «bolcheviser». Toutes les nations libres ainsi que les alliés prêteront aide matérielle et financière à cet héroïque petit peuple qui faible comme armée n’hésite pas à lutter contre cette puissance 50 fois plus forte qu’elle-même, et qui, à ce jour lui a infligé des pertes sérieuses en hommes et en matériel et qui se sacrifiera jusqu’à la mort pour défendre sa liberté et son indépendance.

La jeune classe de 1940 à la suite du conseil de révision tenu à Patay le 4 janvier n’a point voulu que cette réunion fasse oublier leurs camarades du front et dans un geste de généreuse solidarité a remis à Monsieur le Maire une somme de 100 Frs provenant d’une collecte faite entre eux qui m’a été remise et jointe au total général des recettes du Comité.

A cette date du 8 janvier:

Il existait en caisse au 31.12.1939 :

Recettes 10 794,70 Frs

Au 8 janvier 1940 10 904,70 Frs

Don de Monsieur LORIN ? 35,00 Frs

___________

TOTAL 10 939,70 Frs

 

 

12 janvier au 12 février --Ce mois n’a été marqué par aucun fait pouvant avoir un intérêt, sujet à de longs développements.La situation militaire reste la même. La grande offensive dont parle fréquemment l’Allemagne ne semble pas jusqu’ici prendre une tournure inquiétante.Et c’est justement parce qu’elle sait que notre front par sa puissance en défenseurs et en matériel lui impose la plus grande circonspection et qu’une attaque de sa part rencontrerait des forces dont elle ne soupçonne pas ni la valeur ni l’étendue. Cependant la saison avance et il faudra bien que dans un avenir que je crois proche le choc se produise dont la violence et tous les moyens de défense mis en action fassent comprendre à l’ennemi que ces efforts demeureront vains et qu’il est mûr pour la défaite. Le moral de la France ne faillit pas.

Le gouvernement DALADIER a la confiance du pays et du parlement puisque dans la séance mémorable et historique du 9 février ce dernier votait à l’unanimité un ordre du jour rendant hommage au Président du conseil en l’engageant à poursuivre la guerre jusqu’à la victoire finale.

 

ŒUVRE DES COLIS

Pendant cette période il y a eu suspension dans l’envoi des colis, d’abord parce que il est nécessaire de prévoir si les hostilités seront de longue ou de courte durée et qu’il faut être en mesure par une sage prévoyance de pouvoir renouveler ces envois, jusqu’à la fin de la guerre.

Ensuite il faut tenir compte du désir manifesté par bon nombre de mobilisés qui seraient heureux de recevoir plutôt un petit mandat carte que des victuailles (1) à suivre.

 

15 mars 1940 ETAT DE CAISSE

Recettes 10 939,70 Frs

Dépenses 3 509,75 Frs

___________

En caisse 7 429,95 Frs

 

Représentée par «7 bons d’armement»

de 1 000 Frs 7 000,00 Frs

Numéraire 429,95 Frs

__________

  1. 429,95 Frs

 

(1) suite Ce désir m’a été exprimé par les intéressés eux-mêmes qui reçoivent de leur famille de fréquents colis, mais qui ne peuvent envoyer de petites sommes d’argent. Ce sera donc à connaître la situation de chacun d’entre eux et pour donner satisfaction à tous répartir colis et mandats suivant la position familiale de chacun. D’ailleurs il faut envisager le coût très majoré des colis qui a l’heure actuelle dépasserait le prix de 45,00 Frs chaque au lieu de 32,00 Frs que revenait le même colis au mois d’octobre 1939. Dans tous les cas il n’y aura pas d’arrêt pour soulager et aider ceux qui souffrent et dont la détresse est manifeste ; que ce soit pour le front ou pour l’arrière l’argent du Comité saura, selon sa formule faire du bien là où le besoin se fait impérieux.

COLIS DU SOLDAT

Par tous les moyens il faut s’ingénier à donner à nos défenseurs le plus de bien être possible et pour cela il s’agit d’alimenter notre Caisse qui n’est pas inépuisable.

Il me rappelle qu’en 1914 j’avais placé dans la salle de la justice de paix où se payaient les allocations militaires, un tronc où je faisais appel à toutes les femmes et à toutes autres personnes de verser leurs oboles si minimes soient-elles pour le tabac de nos soldats. Cet appel fut entendu et les sommes versées permirent d’augmenter le nombre de colis.

Aujourd’hui d’accord avec Monsieur le Percepteur le même tronc de 1914 sera placé dans la salle d’attente précédent son bureau et j’espère bien que mon appel sera entendu de tous.

RECLAMATION

La mairie m’a fait savoir qu’une somme de 146,00 Frs était due par le Comité des Fêtes pour la location de la salle des fêtes et pour l’éclairage à l’occasion du Bal de la Cavalcade. Après entrevue avec Monsieur le Maire et explications fournies il a été décidé que cette somme ne serait pas payée et qu’elle serait attribuée au colis du soldat et au soulagement des infortunes qui pourraient se révéler dans le pays.

 

20 février --Don: Monsieur LORIN de BLAVETIN a voulu participer à notre œuvre en versant la somme de 35,00 Frs qui sera jointe à la caisse.

 

20 février au 1er mars-- Cette période n’a été marquée que par un événement purement économique qui quoique intervenu un peu tard constitue cependant une mesure de haute et sage prévoyance.

C’est l’institution de la carte d’alimentation

En effet, produire moins et consommer beaucoup pouvait mettre en péril les ressources de l’État.

 

1er au 15 mars-- Aucun fait susceptible de développement ne s’est produit jusqu’au 13 mars mais à cette date une nouvelle qui a jeté la consternation dans le monde entier, c’est la signature de la paix entre la Russie et la Finlande. Depuis longtemps on se rendait compte que ce petit peuple dont l’héroïsme et la valeur militaire sont incomparables, devait succomber sous la masse des forces soviétiques mais on croyait aussi que la Suède et la Norvège viendraient à son secours comme d’ailleurs ils semblaient le dire, mais ils ont interdit à la France et à la Grande Bretagne de ne pas violer leur neutralité en passant sur leurs eaux territoriales avec leurs vaisseaux porteurs d’hommes et de munitions à la Finlande ce qui aurait épargné à cette malheureuse nation la honte de subir la paix désastreuse imposée par les barbares. Quoiqu’il en soit la Suède et la Norvège sont justement au ban de l’opinion publique car leur geste est indigne d’un peuple dont tout l’incitait à aider et soutenir par tous les moyens cette sœur voisine qui implorait leur secours. Ils paieront cher cette félonie car tôt ou tard ils deviendront la proie de l’ogre moscovite à moins toutefois que les alliés dont la victoire demeure certaine sachent au moment du règlement des comptes rogner les ongles des rapaces et remettent les choses et les états à leur place.

 

15 mars au 15 avril-- Pendant cette longue période de graves événements se sont produits. Le théâtre de la guerre s’est soudainement transporté en Norvège où les allemands puisaient leur minerai de fer et pensaient faire de ce pays de puissantes bases navales et aériennes et en même temps s’approche le plus près possible des côtes anglaises pour de futurs desseins.L’attaque de ce pays a eu lieu le 9 avril et les troupes allemandes occupaient en même temps et la Norvège et le Danemark ce dernier pays est à l’heure actuelle entre les mains des ennemis, mais la Norvège a compris un peu tard qu’il fallait se défendre et que son honneur et son loyalisme l’obligeraient à ne pas se laisser asservir et perdre ainsi leur indépendance et leur liberté.

Aujourd’hui 10 avril-- la bataille est engagée sur terre, sur mer et dans les airs et y prennent pas les troupes alliées qui sont accourues au secours de cette petite nation assiégée. La lutte est violente de part et d’autre, mais déjà de sérieuses victoires sont à l’actif des alliés qui ont fait subir de gros dommages à l’ennemi tant en « bateaux » coulés qu’en « avions » abattus. On peut dire qu’en ce moment la guerre revêt un caractère nouveau car la Scandinavie ne semblait pas devenir un vaste champ de bataille ou se dénouerait peut-être le sort des combattants.HITLER a manqué son coup et les pertes qu’il a subies déjà sont bien de nature à le faire réfléchir et à lui démontrer que ses folles ambitions peuvent rencontrer des obstacles bien susceptibles de refréner ses ardeurs et anéantir son prestige.Quoiqu’il en soi si la situation demeure toujours très grave les résultats obtenus par les alliés au cours de ces dernières semaines donnent le plus grand espoir et permettent de grands succès pour l’avenir.

 

15 avril --Ce 15 avril les batailles nouvelles se poursuivent sur mer avec d’appréciables avantages pour les alliés. De nombreux bateaux ennemis sont coulés et ces pertes seront ressenties cruellement par l’amirauté allemande.

La Norvège se bat avec un courage et un héroïsme admirables et comme des secours en hommes et en matériels vont lui être fournis par les alliés et par des engagements de volontaires ont peut dire que cette petite nation inscrit une belle page d’histoire comparable à celle que la glorieuse Finlande a attaché à son nom.

Quelle sera la conséquence de ces défaites successives de l’ennemi au point de vue de la durée de la guerre? Sera-t-elle longue ou courte?  Il est difficile à l’heure actuelle d’y répondre mais on peut prévoir cependant que la répétition d’échecs chez les ennemis peut ébranler le prestige de leurs dirigeants et dessiller les yeux de ce peuple qui habitué aux victoires faciles et odieuses de son « Führer » comprenne enfin que son idole le conduit vers la mort et l’anéantissement.

 

20 avril --Les troupes alliées débarquent en Norvège et sur ce front des batailles font rage sur terre sur mer et dans les airs. La flotte allemande y subit des pertes qui atteignent ses plus grosses unités de combat. On ne peut à l’heure actuelle connaître le résultat de ces engagements qui se déroulent dans une discrétion voulue et ordonnée mais qu’on sait néanmoins favorables et ce n’est que dans quelques jours, dit-on, qu’on pourra apprécier l’étendue des avantages réalisés.Ce qu’on apprend aujourd’hui c’est le malaise et les craintes qu’on éprouve pour tous les pays neutres et plus spécialement pour les Balkans où se manifestent certaines manifestations de la part de l’ennemi qui sembleraient indiquer que sont intention serait de chercher à établir un nouveau front dans ces régions. Tous ces pays ont compris le danger et ont pris toutes mesures défensives pour y faire face. On ne sait encore qu’elle sera l’attitude de l’Italie en présence d’un conflit possible ?

Il est difficile à ce jour un pronostic quelconque car sa politique actuelle ne permet guère d’affirmer qu’elle se dissociera de son alliée l’Allemagne dont sa presse célèbre les exploits. Mais pourra-t-elle demeurer non agissante au cas où les Balkans seraient menacés ? Il y aurait à ce moment un intérêt vital à ses propres besoins et à la sauvegarde même de son territoire et de son unité pour qu’elle intervienne et défende toute pénétration sur son sol.

L’avenir qui est proche nous dira si le maître de l’Italie voudra prendre la décision conforme aux événements qui peuvent se produire.Quoiqu’il arrive on peut dire que la situation Européenne est pleine de périls et qu’il est nécessaire pour hâter la victoire – laquelle ne peut faire de doute – que tous les neutres sans exception comprennent que la neutralité est aujourd’hui un vain mot et que c’est aux côtés des alliés qu’ils doivent se ranger s’ils veulent reconquérir ou conserver leur liberté et leur indépendance.

 

20 avril au 15 mai --Bien des événements se sont produits au cours de cette période :

  1. L’abandon par les alliés du front de la Norvège méridionale,

  2. Repliement des troupes sur la côte septentrionale défendant Narvik en coupant la route par laquelle les allemands s’approvisionnaient en minerai de fer de cette région.

  3. Une grande bataille navale s’est engagée autour de Narvick et la flotte ennemie a subi des pertes tellement sérieuses qu’elle ne pourra de longtemps en récupérer l’équivalence.

 

10 mai --La grande offensive s’est déchaînée ce jour par l’invasion de l’armée allemande en Hollande au Luxembourg et en Belgique.L’armée française s’est portée à leur secours ainsi que celle de Grande Bretagne de la Pologne et de celles des pays envahis.C’est sur ce front de 400 km que la bataille fait rage et l’ennemi qui veut vaincre emploie toutes ses forces en matériel et en hommes pour obtenir le résultat définitif.

15 mai --La lutte continue et il serait prématuré de donner aujourd’hui une appréciation sur l’issue de chacune des phases de cette grande bataille.

15 au 20 mai --Situation toujours très grave avec des alternatives de repli et d’avance. L’ennemi ne veut pas s’embarrasser de ses pertes et coûte que coûte les subit pour arriver à ses fins. Jamais le moral des troupes alliées n’a été si haut et sa volonté de vaincre si inébranlable et avec de tels héros on ne doit pas douter de la victoire.

L’aviation allemande concourt à ce but non seulement sur le front, mais encore sur l’intérieur, et l’on peut dire que toutes les régions de France ont subi les incursions de ces oiseaux de mort, qui, jettent la panique et la destruction sur leur passage.

Le camp de Bricy a été bombardé le 11 mai et de nombreuses victimes ont payé de leur vie cet acte de brigandage ;

Des hangars ont été incendiés et du matériel détruit ce qui a apporté de certaines perturbations dans la marche normale de l’aérodrome.

La région d’Orléans vit en état d’alertes constantes et surtout la ville dont les habitants sont obligés à chaque instant de se réfugier dans les abris et y passer de longues heures de jour et de nuit.

Depuis cette ruée de l’ennemi, il a fallu procéder à l’évacuation soit volontaire, soit d’office des populations du Luxembourg, de la Hollande, de la Belgique et des villes du nord de la France.

Des centres d’accueil ont été aménagés à l’arrière et à Patay même des baraquements ont été construits pouvant donner asile à 400 évacués environ.

Il a fallu également prendre des mesures pour mettre à l’abri une certaine quantité d’enfants de Paris qui sous la surveillance de leurs institutrices se sont installés dans la « Salle des Fêtes » transformée en un vaste dortoir où dorment 54 enfants appartenant à diverses écoles de la capitale.

Parmi les enfants dont l’âge varie entre 4 et 11 ans, certaines de ces petites filles ne sont pas pourvues d’un trousseau suffisant et il a été urgent de pourvoir tout de suite à l’acquisition d’objets indispensables à leur habillement. C’est ainsi qu’il a fallu procéder à la réparation de chaussures et à l’achat d’une paire de souliers dont le coût a été de 30,00 Frs.

La caisse du Comité des Fêtes ouverte à toutes les infortunes a joué dans la circonstance le rôle qu’il s’est dévolu en intervenant aussitôt et en faisant le nécessaire.

Le moment est plein d’inquiétudes en face de la violence des combats, mais le moral de la France et de nos vaillants défenseurs sont des armes puissantes contre lesquelles « le boche » se brisera à jamais.

 

20 au 30 mai --La poussée allemande qui s’est accentuée ces jours derniers sur notre front a fait prendre au gouvernement de Monsieur Paul REYNAUD des mesures appropriées aux circonstances et aux événements.

Le Maréchal PETAIN devient Vice Président du Conseil des Ministres et le Général WEYGRAND Généralissime des armées terrestres.

Ce remaniement s’explique par la gravité de la situation et par la haute valeur de ces deux chefs qui ont joué un rôle décisif dans la guerre 1914-1918.

Si l’on ajoute à ces deux nominations celle de Monsieur Georges MANDEL comme Ministre de l’Intérieur on peut avoir la certitude que ces leviers de commande n’ont jamais été en de meilleures mains.

C’est à partir de ce jour que l’on est appelé à constater et à apprécier les changements heureux qui ne doivent pas manquer de se produire sur le front des armées et dans l’intérieur du pays ou espions, défaitistes et mauvais français nuisent abominablement à l’équilibre moral des habitants.

Il faut donc s’attendre à un revirement complet de la situation qui faut bien l’espérer ne se fera pas longtemps attendre.

 

22 mai --Jamais la situation n’est apparue plus sérieuse que ce jour.

L’armée allemande a poussé ses avants gardes et ses bataillons motorisés vers le nord en direction de la Somme : Amiens, Arras sont entre leurs mains.

Les noms de WEYGAND et PETAIN ont galvanisé tous les espoirs, non seulement en France mais dans toutes les autres nations. Il faut donc s’attendre à voir prendre une autre tournure dans la direction de la guerre et réparer les fautes qui auraient pu se produire lors de la poussée de l’ennemi à travers notre territoire.

Le moral de l’armée est intact et son courage et sa foi dans la victoire sont inébranlables.

Mais à côté de ces qualités bien françaises il faut que l’arrière se montre digne d’elles et réponde aux sacrifices qu’elles sont prêtes à offrir à la patrie pour sauver la civilisation et l’asservissement de l’Europe.

 

29 mai --De graves événements vienne de se produire.

Le premier : la ruée de l’ennemi sur la Meuse, chassant devant elle nombre de populations de Belgique qui se déversent à travers la France et arrivent jusqu’à Patay où un centre d’accueil a été organisé pour y recevoir les réfugiés qui trouvent aide et assistance.

Dans ce but des quêtes ont été faites et leur produit qui à ce jour dépasse 4 000 Frs a permis de secourir moralement et matériellement ces pauvres gens dont la fatigue était extrême et qui repartent ensuite vers le département qui leur est assigné.

Il faut louer sans réserve l’élan et la générosité de Patay qui a su partager les peines et les tourments de ces malheureux.

Le deuxième événement : le plus soudain et le plus inattendu a été la trahison du roi LEOPOLD III de Belgique qui dans la nuit du 25 mai a capitulé en pleine bataille, déposant les armes, se rendant à l’ennemi avec ses troupes comprenant 500.000 hommes.

Cette trahison dont les conséquences pourraient être graves a eu une répercussion dans le monde entier qui n’a pas de termes pour flétrir une telle conduite. A cette heure et à cette date on cherche la raison d’une telle félonie car vendre son pays à l’ennemi est l’acte d’un traître qui mériterait un juste châtiment. Il l’a reçu aussitôt par l’organe de son gouvernement qui ne voulant pas s’associer à une action aussi déshonorante l’a désavoué et a formellement déclaré qu’il ne le reconnaissait plus comme souverain et que la Belgique demeurait fidèle aux alliés et qu’elle continuerait à se battre à ses côtés.

Pendant cette douloureuse période les réfugiés affluent de toutes parts, non seulement les Belges qui sont en plus grand nombre, mais d’autres départements du nord commencent à encombrer nos routes en traversant Patay.

Notre centre d’accueil remplit sa louable mission en faisant appel à la générosité de ses habitants qui jusqu’ici n’a pas fait défaut.

On peut dire que chacun fait son devoir et le remplit avec tout son cœur. Il m’a semblé que le Comité des Fêtes dont le but essentiel est de soulager les infortunes devait intervenir et j’ai versé à la caisse de secours aux réfugiés la somme de 100 Frs. Il est probable et même certain que d’autres versements deviendront nécessaires et le comité sera là pour aider au fur et à mesure des besoins de cette belle œuvre qui chaque jour apporte son assistance entière et dévouée à ces errants de la route chassés de leur foyer par les hordes barbares.

1er au 15 juin --La situation militaire prend dans cette période un caractère d’une exceptionnelle gravité.

Par suite de la trahison du roi de Belgique, l’armée qui combattait sur ce territoire se trouve encerclée par l’ennemi : son sort était tragique puisque dans le courage et l’héroïsme des grands chefs alliés et à leur marine ces troupes au nombre de 335.000 ont pu gagner Dunkerque et par 500 navires de guerre et de tout tonnage débarquer en Angleterre. Ces faits d’armes qui illustrent la plus belle page de l’histoire ont été accomplis par les amiraux ALRIAL et PRIOUX qui par leur bravoure ont sauvé du désastre ces milliers d’hommes sur le point d’être faits prisonniers.

Pendant ce temps la guerre est entrée dans une phase redoutable. L’ennemi dont les forces augmentent chaque jour exerce une pression continue sur tout le front et bien que nos troupes qui ne cessent de se battre avec une vaillance qui fait l’admiration du monde sont obligées de se relier sur des points fixés par le haut commandement. Il en résulte que de repli en repli «le boche» avec ses moyens formidables en aviation en chars blindés et en hommes est parvenu à envahir non seulement les départements du nord, mais avance par bonds successifs vers l’ouest tout en ne négligeant pas la route de Paris.

Peu importe à HITLER les pertes énormes que son armée et son matériel subissent dans ces vagues d’assaut qui s’exécutent sur un front de 200 km ; Rien ne l’arrête tant son ambition est grande et puis ne faut-il pas que cette guerre soit pour lui de courte durée car la question du ravitaillement en pétrole et en matière premières est pour lui le facture principal qui l’oblige à jeter dans cette lutte de géants tout le potentiel de combat dont il dispose aujourd’hui.

 

11 juin --Ainsi donc à cette date du 11 juin la situation est des plus critiques. Les allemands sont aux approches de Rouen et sont aussi à 70 km de Paris.

Nos admirables soldats ne perdent pas la foi dans la victoire et prêts à répondre à l’ordre lancé par le maître de l’heure le général WEYGAND de foncer sur l’ennemi et d’arrêter sur place la réalisation du plan conçu de longue date par HITLER de se promener aux Champs Elysées pour le 15 juin.

 

12 juin --Mais aujourd’hui 12 juin : L’Italie déclare la guerre à la France et à l’Angleterre.

Depuis longtemps et malgré de puissantes interventions auprès de « MUSSOLINI » on sentait qu’il serait difficile d’enrayer les ambitions déraisonnables du dictateur italien qui de concert avec son ami de l’axe attendait la minute précise où il croyait la France paralysée dans ses mouvements serait prête à entendre raison et consentir à un compromis qui mettrait fin aux hostilités. Il s’est largement trompé.

L’Angleterre avec son peuple tout entier et son premier ministre CHURCHILL et le président du conseil français Paul REYNAUD font connaître solennellement qu’ils lutteront jusqu’au bout et que cet acte de lâcheté de l’Italie qu’on peut rapprocher à celui de félonie du roi LEOPOLD n’empêcheront pas les armées alliées de faire face quelque soit le lieu du combat à des ennemis dont le seul but est d’asservir l’Europe toute entière et la placer sous l’hégémonie du tyran qui ferait disparaître le bien le plus précieux que l’homme puisse disposer : LA LIBERTE.

C’est donc sous une phase nouvelle que les événements vont se dérouler. Les champs de bataille se sont élargis puisque la méditerranée sera demain le théâtre de probables opérations guerrières.

Cela ne semble pas inquiéter les alliés qui ont depuis longtemps envisagé le crime dont l’Italie se rend aujourd’hui coupable.

Sans doute l’émotion est grande et les évacuations des départements envahis ou sur le point de l’être se multiplient et Patay avec son centre d’accueil est chaque jour débordé. C’est par centaines que les réfugiés trouvent au passage l’assistance à laquelle est intervenue toute la population qui avec tout son cœur ne faillit pas à cette louable tâche.

De jour en jour, l’anxiété grandit et les allemands exercent une pression formidable sur tout le front. La puissance de leur matériel motorisé oblige les alliés à de multiples replis et c’est ainsi que d’heure en heure ils empiètent sur la Normandie et marchent en direction de Paris par Vernon, tout en progressant également par l’Argonne, Reims puis Senlis s’approchant ainsi de la capitale dont la distance n’est plus que de 50 km.

FIN

Quelques dates

Monsieur Edmond François LEHOUX

 

Né à CHATEAUDUN le 11 octobre 1859

Décédé à PATAY le 27 juin 1940

 

Comme il est relaté dans les précédentes pages, c’est donc 10 jours après l’arrivée des Allemands à PATAY que Monsieur E. LEHOUX décédait.

Pour le patriote qu’il était, c’est volontairement, que le 17 juin 1940, il se rendit à la Mairie de PATAY en l’absence des « autorités municipales » ; et revêtu de sa robe de juge de paix, face à l’occupant, il négocia et assuma le sort du pays de PATAY vidé de ses habitants.

Cette lourde tâche et les difficiles moments qu’il dû subir eurent raison de son grand âge et de sa santé.

Le 27 juin 1940, il s’écroula terrassé par un arrêt cardio-vasculaire.

 

 

Témoignage posthume par l'épouse du juge LEHOUX

PATAY, le 8 août 1940

Qu’il me soit permis de compléter ce journal que la mort a interrompu.

Les événements ce sont précipités. Un vent de panique a soufflé partout entraînant dans un exode lamentable toute une population affolée qui encombrait les routes et paralysait le mouvement des troupes.

Patay n’a pas échappé à cette panique abandonnant tout pour fuir.

Monsieur LEHOUX est resté à son poste, encourageant par son calme et son courage tranquille les quelques habitants restés (45 environ).

Il s’est occupé de tout et de tous pendant ces jours douloureux, faisant soigner les bestiaux, traire les vaches etc… et quand le 17 juin sont arrivés les allemands, il est allé en robe de Juge à la Kommandatur s’offrant pour remplacer la municipalité absente, il a obtenu que la ville soit ravitaillée en pain, eau, électricité, viande.

Tout fut accordé.

Servir était sa devise et comme un bon soldat il a fait son devoir et vaillamment a servi jusqu’à la dernière minute de sa vie.

Tombé au champ d’honneur en service volontaire, laissant le souvenir d’un homme de bien, droit et intègre.

Madame E. LEHOUX