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Une Affaire de réquisition de Vin en Vendémiaire de l'An III à Chaingy

Auteur : Poulot  Créé le : 02/12/2013 19:02
Modifié le : 04/12/2013 20:08

Jean-Claude DUMORT, qui a beaucoup étudié la période révolutionnaire à Chaingy, nous livre ici l'histoire d'une réquisition de vin dans cette commune qui en était une productrice importante à cette époque

Cette affaire débute deux mois après la chute de Robespierre, le 9 thermidor an II. Nous sommes certes dans la réaction thermidorienne, mais la patrie est toujours en danger aux frontières et la taxation du prix des subsistances -le maximum- instituée par la Terreur est toujours en vigueur.

Par lettre i en date du 7 vendémiaire an III (28 septembre 1794), les administrateurs du district d’Orléans informent les officiers municipaux de Chaingy de la venue d’un commissaire chargé de la réquisition de cent pièces de vin, répartition (c’est à dire part) de Chaingy des deux mille pièces de vin dont le district est frappéii. Huit jours plus tard, le 15 vendémiaire, une nouvelle lettre desdits administrateurs apporte une rectification dans la forme « mal à propos on s’est servi du mot réquisition, tandis que ce ne pouvait être qu’une invitation […] mais il n’est pas moins vrai que vous devez fournir le contingent assigné à votre commune, au prix du maximum ». En cette période particulièrement sensible –on vient de sortir de la Terreur et on est en pleine réaction thermidorienne--, le vocabulaire avait une grande importance et le mot réquisition pesait trop lourd. La lettre précise que les administrateurs du district répercutent une invitation des agents généraux des subsistances militaires, invitation qui «exige d’autant plus que l’approvisionnement a une destination chère pour tous les bons Républicains puisqu’elle est pour les défenseurs de la Patrie».

Le 13 vendémiaire, la première lettre est reçue à Chaingy, transcrite, à l’exception de la formule de politesse « Salut et fraternité », sur le registre de la commune est lue au directoire de la commune. Le directoire a alors « formé la liste des propriétaires qui ont récolté quantité de vin lors de la récolte dernière et chargé le citoyen Etienne Thibout de se transporter chez les citoyens de la liste susdite afin de goûter et marquer ledit vin, de mettre en réquisition tous les ouvriers tonneliers qui paraîtraient nécessaires, de faire charger lesdits vins de les [illisible, sans doute entreposer ou faire transporter] dans le temple de Chaingy ». La liste des citoyens qui doivent fournir les cent pièces de vin comporte quatre-vingt dix neuf noms de vignerons, dont quatre-vingt quinze sont taxés pour une pièce de vin et quatre pour deux pièces : les citoyens Alix, Jean et Denis Cuchet iii, Poupardin et Blaise Picard. La liste excède de trois pièces la requête du district.

Le 14 vendémiaire, lendemain de sa nomination, le citoyen Etienne Thibout s’est acquitté d’une partie de sa mission et en rend compte au directoire de la commune. En ces temps révolutionnaires, l’obéissance la plus prompte aux ordres de tout corps constitué détenant le pouvoir est de règle. Le greffier du directoire enregistre, le 14 vendémiaire, que Etienne «[devant] nous maire et officiers municipaux […] le Cn Thibout, officier, expert nommé par la délibération qui précède pour goûter, arrêter et marquer les vins chez les citoyens désignés dans la liste dont il est porteur, nous a exposé que s’étant présenté chez le Cn Jean Baptiste Billard à Fourneaux pour requérir la pièce attribuée à la République dans son cellier, celui cy s’est permis à son égard toutes sortes de mauvais propos et diatribe, qu’il lui a dit que son vin ne sortirait pas ainsi, qu’il consentait d’en fournir une [pièce] mais qu'il fallait que luy, Etienne Thibout, luy donnât une reconnaissance en son nom et point au nom de la Réquisition, qu’il saurait bien se venger, qu’il y en aurait plusieurs d’entre nous qui y PASSERAIENT iv avant peu, qu’il avait même donné son BLANC SIGNE pour cet effet et autres menaces dont le Cn Thibout ne peut se rappeler toutes les expressions. L’agent national a déclaré que depuis longtemps ce même homme se plaisait à insulter le corps municipal par de semblables menaces, que nous avions déjà reçu des plaintes du comité de surveillance qui avait été insulté par ledit Billard, lui disant qu’il se vengerait avant peu et qu’il avait Robespierre et Collot d’Herbois dans sa poche ».

Malgré l’isolement de la petite commune rurale qu’est Chaingy et la rareté de la presse, deux grands noms de la Terreur s’introduisent dans le registre municipal de la commune. Nous savons que le citoyen Billard était un jacobin et un homme vindicatif v.

Le 25 vendémiaire « s’est présenté à la maison commune de Chaingy le citoyen Alix domicilié à Orléans, lequel nous a déclaré non seulement qu’il acquiesçait à la demande de deux pièces de vin qui lui avaient été demandées au prix du maximum […] mais qu’il en offrait deux en PUR DON1 pour être comprise dans l’envoi que nous en ferons à l’armée. Vu lesquelles offres, il a été arrêté que, pour en témoigner notre reconnaissance audit Alix, il en serait fait mention dans notre registre et que copie luy en serait délivrée. » S’agit-il d’un pur acte de patriotisme révolutionnaire ou d’un geste intéressé d’un bourgeois de la ville, ayant besoin d’un « brevet de révolutionnaire », que la commune de Chaingy lui a d’ailleurs décerné ?

Le 26 vendémiaire à cinq heures du soir, le citoyen commissaire, chargé par la commission d’approvisionnement des armées, s’est présenté devant le maire et les officiers municipaux de Chaingy. Il venait demander la liste des fournisseurs des cent pièces de vin et l’a obtenue.

Le 6 brumaire le maire et les officiers municipaux rassemblent leurs concitoyens pour leur donner, de nouveau, connaissance de l’invitation à fournir aux armées 100 pièces de vin. « Adhésion d’un grand nombre, refus du Cn Pierre Noury de Vauveté d’obéir à ladite réquisition, sous prétexte que nous agissions de notre chef et pour nous. A la suite de ladite discussion plusieurs autres citoyens ont déclaré qu’ils ne livreraient pas leur vin ».

Le 13 frimaire an III (3 décembre 1794), le maire et les officiers municipaux écrivent aux citoyens administrateurs du directoire du district d’Orléans. Après avoir rappelé la genèse de l’invitation à fournir 100 pièces de vin pour l’armée, ils indiquent que les vins sont pour partie stoqués (sic) dans le temple de la commune et pour partie conservés chez les propriétaires. « Quelques-uns uns s’y sont refusés, sous prétexte que les propriétés devaient être respectées et la dernière lette n’employant que le mot invitation, nous ne pouvions disposer de leur propriété ». Ils rappellent que le district a été informé de tout cela et que, depuis, ils n’ont reçu aucune instruction. « Il résulte de ce retard 1° que le vin qui nous a été délivré et que nous avons placé dans le temple risque de se répandre s’il venait à manquer des cercles aux poinçons ou était exposé aux gelées. Enfin il pourrait éprouver quelques altérations vi, entendu qu’il vient beaucoup de monde dans ledit temple ». Il est dit que le temple sert aux séances de l’assemblée municipale, qu’on y entrepose le marc et ce qui est réquisitionné pour faire le salpêtre et, enfin, que l’horloge doit être entretenue.

« 2° qu’il en résulte encore que des particuliers ne voyant aucun terme à la livraison de ces vins, traitent d’arbitraires les ordres que nous leur avons donnés, que plusieurs ont passé outre, en vendant même les pièces de vin marquées ». Le maire et les officiers municipaux sont saisis de demandes pressantes de rendre les pièces fournies et stockées dans le temple. Ils demandent en conséquence aux autorités du district

« 1° si nous pouvons rendre les vins transportés dans le temple aux différents propriétaires 2° donner main levée à ceux qui l’ont conservé chez eux, 3° dans le cas contraire donner des ordres pour enlever ce vin au plus vite en ayant égard pour le charroi à la difficulté des chemins, au prix exorbitant et à la rareté des chevaux vii » La lettre se termine par « Salut et fraternité ».

Le 27 frimaire les administrateurs du district retournent sa lettre au directoire de Chaingy avec, au bas de ladite lettre, la mention : « Le comité du district ne peut autoriser, sans y être lui-meme autorisé, la commune de Chaingy à remettre les vins rassemblés dans la ci-devant église aux particuliers. [Il] arrête que la commune de Chaingy aura soin de ces vins et veillera à ce qu’ils ne se détériorent point, jusqu’à ce que la commission du Commerce, à laquelle il en sera référé, ait fait connaître sa décision à cet égard à l’administration du district ».

Le 11 nivôse (31 décembre 1794) se présente devant la municipalité de Chaingy, le commissaire pour la levée des deux mille pièces de vin. Le maire lui déclare qu’il a rendu les onze pièces de vins qui étaient stockées dans la ci-devant église, qu’il y avait été forcé car les gelées pouvaient les gâter et les perdre entièrement et qu’il n’a donc plus rien en main. Il ajoute « qu’aujourd’huy, le vice du maximum étant reconnu, il existe beaucoup de vin chez nos concitoyens et le Cn commissaire peut en trouver à acheter la quantité dont il peut avoir besoin ».

Les réfugiés de Vendée à Chaingy

 

Les archives communales de La Chapelle conservent le « Registre pour servir à l’enregistrement des citoyens et citoyennes arrivés de la Vendée et auxquels nous avons conformément à l’arrété du district donné l’hospitalité dans notre commune de Chaingi, canton de Roche sur Loire » viii. Dans ce registre, constitué de cinq feuillets doubles emboîtés et non paginés, les informations semblent données dans l’ordre chronologique sans être toujours datées ; elles sont parfois contradictoires en ce qui concerne la date d’arrivée de certains réfugiés.

Il nous apprend que, le tridi ix 3 prairial de l’an II (22 mai 1794), sont arrivés à Chaingy :

-Jacques Coué, cordonnier, vingt-sept ans et sa femme, que la commune a logé au « ci-devant logis du vicaire ». Ils partent rapidement pour s’établir à Orléans ;

-Mathurin Guérin, vingt-sept ans, laboureur, sa femme et trois enfants âgés de sept, cinq et trois ans. Ils sont logés chez Jacques Camus, laboureur. Sous la mention de son logement on trouve « trente sous et nourri ». Il s’agit, probablement, des conditions de l’emploi de Guérin chez Jacques Camus ;

-Julien Grelier, vingt-six ans, vigneron, logé chez la Citoyenne. Pellerin à Longuevault qui lui donne vingt (sans doute sous) pour sa subsistance. Il n’y reste que 17 jours, car le 20 prairial il part à l’armée dans le cadre de la première réquisition ;

-Pierre Lamprier, trente-sept ans laboureur logé chez le citoyen Daviau à la Bouverie. Sous son nom figure la mention : « a quitté, travaille à Jean-de-Braye » suivi d’une date illisible ; 

-François Loizeau, vingt-neuf ans, tonnelier dolleur, logé chez le citoyen Jean Venot. Il quitte Chaingy le 26 messidor (14 juillet) pour travailler à Jean-de-Braye ;

-Marie Clément, femme Thomazeau, trente deux ans avec deux enfants de trois ans et demi et un an et demi, ainsi que ses deux sœurs Charlotte et Anne Clément, âgées de dix neuf et vint deux ans. Toutes trois sont couturières et faiseuses de bas. Elles sont logées chez le citoyen Laurent.

Les arrivées suivantes, qui ont eu lieu les 15 et 16 prairial (3 et 4 juin 1794) x sont plus pitoyables :

-Marie Prant, trente six ans, femme de laboureur, avec ses cinq enfants, dont l’aîné a douze ans et le dernier dix-huit mois. Elle « ignore si son mari existe ou non » et est hors d’état de travailler. On les loge dans le ci-devant presbytère ;

-Marie Françoise, veuve Forest, quarante cinq ans, avec ses deux filles âgées de onze et dix ans, son fils de huit ans et une nièce de huit ans. Son mari était laboureur. Elles sont logées chez Pierre Grison au Clos du Renard.

-Julienne Merlay, veuve de François Morisse, âgée de soixante deux ans. Elle est logée également chez Pierre Grison.

-Enfin Françoise Bertet, vingt six ans, serait arrivée 12 germinal (1° avril).

C’est donc en tout vingt-six personnes, soit cinq hommes, neuf femmes et douze enfants que Chaingy a recueilli. Juste après leur installation, la municipalité fait prêter serment aux réfugiés. Elle se plie en cela aux directives d’une lettre du district, lettre dont l’expression est quelque peu gênée. En effet l’administration du district écrit « ne pourvoir se dispenser d’exiger des réfugiés de la Vendée qui sont répandus dans son ressort le serment exigé par la loi ». Ce serment est requis des « hommes, femmes, garçons et filles depuis l’âge de douze ans ». Le maire de Chaingy, fait proclamer, le 29 prairial, que tous les réfugiés de Vendée, à partir de l’âge de douze ans, devront se trouver le lendemain à neuf heures à la maison commune pour prêter le serment requis. La convocation se termine par « l’an II de la République française, une, indivisible et impérissable ou la mort ». Ce serment exigé de réfugiés et cette formule nous rappellent clairement que nous sommes en pleine Terreur.

On trouve plus d’humanité dans les aides que Marie Prau et les veuves Forest et Merlet ont touchées entre leur arrivée et le 30 ventôse de l’an III (21 mars 1794). Ces aides sont versées tous les dix jours. Durant l’an II, la somme versée pour ces 10 personnes varie, le plus souvent, autour de 200 livres par décade, soit une livre par jour et par personne. Elle paraît importante -le salaire quotidien d’un ouvrier agricole étant alors de 1 livre et demie par jour-, mais il devait s’agir de sommes en assignats déjà très largement dévalués.

1

i Toutes les lettres dont il sera question ici sont conservées aux AmC, AD O supp. 462, cote 3 F 11.

ii Le vignoble de Chaingy devait donc représenter environ 5 % du vignoble du district d’Orléans, dans lequel le vignoble de l’Orléanais se trouve entièrement situé.

iii Probablement deux frères exploitant ensemble un vignoble.

iv

v Voir le texte sur Billard à la fin du chapitre sur le personnel politique de Chaingy.

vi Le vin titrait alors 7 à 8 degrés et se conservait fort mal.

vii Beaucoup de chevaux étaient réquisitionnés pour l’armée.

viii Cote 4 H 6. Toutes les informations de ce chapitre viennent de cette pièce et de quelques pièces accessoires conservées sous la même cote. Notons l’emploi, rare du nm républicains éphémère de Roche-sur-Loire. Par ailleurs c’est un des rares documents ou Chaingy est orthographié Chaingi.

ix Le tridi est le troisième jour de la décade. Ce découpage en trois décades de dix jours a remplacé la semaine du calendrier traditionnel.

x Ultérieurement dans le même registre ces trois familles sont indiquées comme étant arrivé le 3 prairial.