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André SOULAS:un beauceron laboureur des océans

Auteur : Admin  Créé le : 06/02/2025 12:46
Modifié le : 07/02/2025 11:07
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Au moment où nous marquions le vingtième anniversaire de l'association "Racines du Pays Loire-Beauce", notre ami André Soulas, nous quittait. Depuis plusieurs années il tenait, avec son épouse Catherine, à participer aux manifestations de RPLB et notamment aux "Jeudis de l'Histoire". 

Le 14 mars 2013 lors du 18ème jeudi, il avait retracé la vie de son père Louis-Joseph Soulas,artiste renommé de notre Pays, accompagnant les évocations de Jeanne Champilou et de Rémy Hétreau.

Avant d'être le biographe de son papa, André Soulas avair eu une carrière de navigateur au long cours, c'est l'objet des lignes qui suivent fournies par son épouse Catherine et sa fille Marine.

André Soulas est connu pour avoir consacré une grande partie de sa vie à préserver et valoriser l’œuvre de son père, le peintre-graveur Louis-Joseph Soulas. Mais son propre parcours, marqué par la mer et les voyages, mérite tout autant d’être raconté.

Il n’a que 16 ans lorsque son père décède brutalement, en 1954. C’est un choc qui le poussera à sortir des frontières de la Beauce de son enfance et de sa jeunesse. L’année suivante, il obtient une Bourse Zellidja, un programme singulier qui encourage les jeunes à voyager seuls, avec peu de moyens, et à rapporter un témoignage écrit et illustré de leur périple.

 Pour sa première aventure, il choisit l’Islande. Pour la seconde, les Cyclades en Grèce. Il se découvre alors deux passions : la mer et l’exploration de cultures différentes. De retour en France, son rapport de voyage sur la Grèce, soigneusement illustré de ses propres photographies et aquarelles, remporte le troisième prix des Bourses Zellidja. Ce document, aujourd’hui conservé à la Bibliothèque Nationale, témoigne de son talent d’observateur et de narrateur.

À 20 ans, lors de son service militaire, André trouve un moyen astucieux de combiner ses aspirations maritimes et son devoir national : il s’engage dans la Marine nationale, où il accumule les heures de navigation nécessaires pour intégrer l’École de la Marine Marchande. Il sert notamment sur le porte-avions Clémenceau, une expérience marquante. Son parcours dans la marine marchande débute par une formation exigeante, entre cours théoriques et longues périodes en mer. Il y fait une première année à Paimpol.

André Soulas en 1995.

Il embarque ensuite pour quinze mois de voyages avec la Compagnie Maritime des Chargeurs Réunis. Ses voyages le mènent de l’Europe au Japon, en passant par l’Afrique du Sud et la côte occidentale africaine. Puis il repart au cours de Lieutenant Marine Marchande, cette fois à Marseille, pour profiter davantage du soleil et du climat méditerranéen. Il y reste deux ans. Il profite de la situation pour obtenir son brevet de plongeur.

Pour sa dernière année d’étude, celle lui permettant d’obtenir le diplôme de Capitaine au Long Cours, il décide pour se rapprocher d’Orléans, de rejoindre l’école de la Marine Marchande au Havre. Là, il rencontre celle qui deviendra son épouse, Catherine.

Diplômé en 1968, André intègre définitivement la Compagnie Maritime des Chargeurs Réunis, où il fera toute sa carrière. Il navigue comme lieutenant pendant six ans. Ces années sont rythmées par une diversité de responsabilités : gérer les listes de chargement, tenir à jour les cartes de navigation, ou encore orchestrer l’administration complexe des escales. Les quarts sur la passerelle, pendant lesquels il se relaie avec les autres lieutenants pour assurer la conduite du navire, lui permettent de développer une connaissance poussée de la mer et du ciel - il aimait expliquer l’astronomie et le fonctionnement des outils de navigation à ses filles, de retour chez lui au Havre.

1974 marque un tournant dans sa carrière avec sa promotion au poste de second capitaine qu’il occupera pendant une douzaine d’années.

Ce rôle met en lumière son talent exceptionnel pour le chargement des navires, un art complexe qui exige une vision tridimensionnelle et une compréhension fine des contraintes physiques. Pour André, chaque cargaison devient un puzzle qu’il résout avec minutie et ingéniosité. Il supervise notamment les chargements de grumes – des arbres entiers destinés aux scieries européennes – un travail particulièrement dangereux. Ces opérations sont confiées aux Kroomen, ces dockers spécialisés d’Abidjan qui vivent à bord le temps du chargement et André aime échanger avec eux, les observer, et les photographier.

Les grumes flottant, sont approchées du navire avant leur chargement par un remorqueur

Les Kroomen à l'oeuvre

Lorsqu’il est nommé Commandant, ses voyages l’ont déjà mené aux quatre coins du monde.

Pendant toutes ses années de navigation, il a profité de ses temps libres pendant les escales pour nourrir sa soif de découvertes, partir à la rencontre des populations locales et explorer des lieux encore préservés du tourisme de masse actuel : il emmène une partie de l’équipage à la découverte des temples d’Angkor au Cambodge, à l’époque encore entourés de jungle, il fait l’ascension du volcan Bromo en Indonésie. À Bangkok, Saigon, Singapour, il découvre traditions et gastronomie locale.

En Côte d’Ivoire, il participe à une action humanitaire soutenue par les Chargeurs Réunis, qui acheminent gratuitement des colis à la mission du Père Gotte, à Toumodi, dans les terres, au nord-ouest d’Abidjan. Il se rend sur place et une grande fête est organisée, c'est une joie pour lui, de partager un grand repas traditionnel avec toute la communauté ivoirienne. Il immortalise ses aventures par de nombreuses photographies, capturant avec justesse la beauté des paysages et l’atmosphère des lieux.

André et l'équipage du Narval, un bananier qui déservait le port d'Abidjan. Ici en mai 1990 à Marseile

L'un des moments les plus mémorables de sa carrière survient en 1994 sur le “Ville de Dakar”, un navire de 155 mètres transportant des billes de bois. Commandant d'un équipage principalement sénégalais, avec seulement deux Européens à bord, c'est sur ce navire qu'il affronte la plus violente tempête de sa vie maritime, au large de l'Espagne, avec des vagues monumentales de 20 mètres de hauteur qui s’abattent sans relâche sur son navire pendant 36 heures interminables. Ironie du sort, il était déjà à la retraite quand il accepta de faire ce dernier voyage. Celui-ci restera gravé comme l’expérience la plus forte de sa vie en mer et la plus périlleuse. À l’arrivée à bon port, il fut félicité de n’avoir perdu aucun membre de l’équipage et aucune marchandise!

André a offert à ses enfants un témoignage précieux d'une époque où la marine marchande était encore une aventure humaine, avant que la technologie et l'automatisation ne transforment radicalement ce monde

 

 Son histoire est celle d'un homme qui a su transformer son amour de la mer et des voyages en une vie d'aventures et de découvertes, tout en maintenant vivant l'héritage artistique familial. Il aimait parfois dire :

"Nous sommes laboureurs de père en fils. Mon grand-père labourait la terre avec sa charrue, mon père labourait le cuivre avec son burin, quant à moi, j’ai passé le plus clair de mon temps à labourer la mer avec l’étrave de mon navire, même si le sillon n'était qu’éphémère."

 

André Soulas retraité  en 2015, défenseur de la mémoire et de l'oeuvre de son père Louis-Joseph Soulas. 

Couverture et quatrième de couverture du très beau livre conçu et élaboré par André et Catherine Soulas qui  explore l'oeuvre de Louis-Joseph Soulas