Charsonville : « La vérité est au fond du puits »
Avant de disparaître complètement, le puits à eau, avait autrefois tenu pendant des siècles un rôle primordial et vital dans la vie de tous les jours des habitants de nos villages jusque dans les années 1950 et l’apparition des châteaux d’eau dans les communes.
Je vous propose dans cet article la présentation de deux puits qui étaient situés dans le bourg de Charsonville et qui ont disparut complètement aujourd’hui.
Attention il y a puits et puits. Autrefois, dans la description de la ferme, à l’occasion d’un bail de location, le notaire écrivait « puits à eau » pour bien préciser sa fonction. En effet, il y avait également jusqu’au début du 19ème siècle des « puits à retraits » qui désignaient selon le dictionnaire « le lieu secret d’une maison, où l’on va aux nécessités naturelles ». Ainsi au 18ème siècle la Coutume d’Orléans précisait : « Quand il y a puits à retraits, latrines, ou égouts communs entre deux parties, les vidanges et curages se doivent faire aux dépens des parties y ayants droits…Par ailleurs et suivant un Règlement de Police, rendu au Bailliage d'Orléans le 27 Juillet 1654; les curages, depuis le 15 mai jusqu’au 15 Septembre, ne peuvent se faire qu'après cinq heures du soir et avant huit heures du matin ».
Je me souviens, enfant, utiliser chez ma grand-mère à Charsonville son « puits à retraits » situé au fond de sa cour et entouré de fleurs.
La naissance des puits en Beauce
Au début il y eut des groupes de nomades qui traversèrent la plaine qu’on appelle aujourd’hui le pays Loire-Beauce et qui iront se sédentariser ponctuellement et provisoirement au plus près des sources d’eau (sources émanant de la nappe phréatique de Beauce). La présence de mégalithes et de silex à proximité des sources (la Conie, l’Aigre, Les Mauves) l’atteste. Les sources des 3 rivières sont situées aux extrémités d’un triangle de 15 km environ de côté, en périphérie du pays Loire-Beauce. Ainsi sur le site des fouilles d’Epieds, réalisées en 2011 et 2013, les chercheurs ont découvert la présence de plusieurs occupations rurales gauloises (5ème siècle avant notre ère), constituées de bâtiments et de structure de stockage mais n’ont pas trouvé de puits à eau. C’est donc que les habitants allaient chercher l’eau à pied à la source des Mauves située à quelques kilomètres de là ?
Même si notre pays Loire-Beauce n’est pas un territoire à rivière, elle a conservée une trace de la présence de l’eau dans sa toponymie. Par exemple sur la commune de Charsonville vous trouverez le chemin vert qui indique un chemin toujours humide, Le Vivier, les Eviers…).
Il faudra très certainement attendre l’invasion de la Gaule par les Romains, au début de notre ère, pour voir apparaître des puits en Beauce. En effet, des fouilles préventives menées en France ont permis d’identifier, à l’époque des habitats gallo-romains, la présence de nombreux puits. Le puits présentait des avantages matériels considérables pour ces peuples ; de l’eau, à proximité, toute l’année et de l’eau qui ne gèle pas en hiver.
Au début, deux solutions techniques (bois ou pierre) étaient utilisées pour éviter l’effondrement des conduits du puits et assurer la pérennité de l’ouvrage. L’utilisation du bois dans l’architecture des puits était possible surtout dans les régions boisées ce qui n’était pas le cas de la région de Beauce, pauvre en bois de chêne, mais riche en pierres de calcaire dans son sous sol. Ce mode de construction en bois semble se raréfier à partir de la période mérovingienne, sans disparaître totalement.
Le puits est donc d’abord présent, en pays Loire-Beauce uniquement dans les fermes autour desquelles l’habitat est dispersé. Puis les villages, vers le 11 et 12ème siècle, apparaissent avec ses habitations regroupées autour de l’église et de son cimetière. Le puits commun apparaît à cette époque dans le bourg. Il est équipé d’une simple poulie, d’une corde et d’un seau en bois fixé à la corde. Et c’est probablement vers le 13 ou 14ème siècle, que les puits à Charsonville, comme partout dans la région du pays Loire-Beauce, abandonnèrent les poulies et s’appareillèrent d’un tambour et d’une manivelle. Le principe est simple ; on fixe sur une armature en fer, au dessus du puits, un rondin horizontal en bois (tambour), mû par une manivelle, sur lequel vient s’enrouler une chaîne ou une corde. Cette technique diminuait la fatigue du puisage réalisé en majorité par les femmes. La manivelle démultipliait en effet le geste musculaire.
Au fur et à mesure des siècles, le nombre de puits va augmenter dans le bourg car certains métiers avaient besoin d’eau (boulangers, bouchers, maçon, maréchal ferrant…).
La construction et l’entretien du puits
Pour l’instant je n’ai pas trouvé de traces, dans les archives départementales du Loiret, d’un texte décrivant la méthode de construction des puits en Beauce. Cependant, plusieurs sites Internet décrivent une même méthode de construction en France. La méthode en Beauce devait être relativement identique.
D’abord, quand nos ancêtres souhaitaient construire un puits, ils faisaient appel à un sourcier pour localiser l’emplacement d’une veine d’eau souterraine où creuser le puits. Le sourcier (personne du village ou des environs) utilisait soit un morceau de bois en forme de Y (le coudrier), un pendule ou parfois sa propre montre à gousset. Le sourcier était capable de ressentir le champ magnétique de l’eau (radiesthésie). Au dessus de l’eau, le coudrier vibrait entre les mains du sourcier ou le pendule tournait sur lui même. Certaines personnes font encore appel aujourd’hui au sourcier avant le forage d’un puits.
Ensuite on faisait appel au puisatier ou « faiseur de puits » ou puisier (nom de personnes représenté dans l’Est du Loiret) pour creuser le puits. A Charsonville, comme dans la plupart des villages environnants, il est possible que ce rôle fût rempli par les maçons du village. En effet, dans les archives de Châteaudun, par exemple, il est souvent question de maçon pour la construction des puits.
Pour travailler, le puisatier disposait d’une pioche, une barre de fer pour éclater la roche calcaire, d’une pelle, d’un seau, d’une corde et d’une chèvre en bois avec une simple poulie.
Pour creuser le trou du puits, le puisatier avait besoin également d’un apprenti pour remonter, à l’aide d’une chèvre à treuil, les seaux remplis de terres ou de roches calcaire qu’il excavait.
Le puits était rond et son diamètre devait être assez grand pour qu’un homme puisse y travailler relativement facilement. Mais lorsque le trou devenait trop profond et que l’échelle en bois ne suffisait plus, il descendait avec la corde en s’aidant des trous qu’il avait creusé dans le puits pour y mettre ses pieds. A 16m de profondeur, au fond du puits, le puisatier était pratiquement dans le noir. Il devait s’éclairer avec une lampe à pétrole. On note sur les relevés des fonds de puits, réalisés en 1966 (BRGM), à Charsonville, une profondeur des 14 puits d’environ 16m.
Dans la région de Charsonville, le puisatier rencontrait différents types de nature de sol. De 0 à 1m environ de profondeur le puisatier trouvait de la terre végétale (limon brun) et ensuite de 1m à 4m environ du calcaire de Beauce composé de marne et de pierres de calcaire et enfin de 4m à 16m environ de véritable roche de calcaire.
Une fois le trou cylindrique creusé et l’eau trouvée le maçon bâtissait la gaine du puits entre le niveau de la nappe et la margelle avec des pierres ou plus probablement sur une hauteur de 5m environ car après cette profondeur le parement rencontré par le puisatier en Beauce était de la roche calcaire qui ne devait pas nécessiter de renforcement. Les pierres étaient descendues à l’aide d’un seau. Elles provenaient des blocs de calcaire extrait du trou pour éviter le coût du transport et augmenter le prix de la réalisation du puits.
Lorsque le bâti intérieur était terminé, le maçon réalisait le muret de pierres au dessus du sol et la margelle en pierre taillé de bonne qualité qui signait presque la fin des travaux. Il ne restait plus qu’à poser le tambour. Le muret avec la margelle avait une hauteur de 60cm à 1m maxi au dessus du sol. Il faut signaler dans la région différents types de couvertures de puits. Ainsi les puits au Bardon, à proximité de la Loire, dans la forêt de Marchenoir… sont sans muret ni margelle.
On peut ajouter, qu’après la construction, et durant le plus longtemps possible la paroisse et ensuite la commune devait se charger de l’entretien des puits communs et des curages réguliers pour avoir toujours une eau claire, signe de qualité.
Voici, ci-après, quelques exemples très anciens, de construction et d’entretien de puits dans la région :
- En 1384, Trois personnes qui craignaient d’être accusés du meurtre de Robin de Launoy, lequel avait trouvé la mort en travaillant dans un puits.
- En 1553 : accord avec Olivier Chartier, faiseur de puits, pour creuser un puits au lieu de Terrenoire, et de faire à bas, près de l’eau, une cache pour cacher un homme quand on voudra curer le puits.
- Marché en 1553, d’Edme de Coucy et d’Anne de Courtalain, sa femme, avec Jean Valleran, puisatier, pour la construction d’un puits à la Frileuse, paroisse de Civry.
- En 1556. Inventaire après décès de Philippe Germaine, femme de François Noël, faiseur de puits hors la porte Saint-Denis à Paris….
- En 1561 ; marché des échevins de Châteaudun avec Pierre Bizet, cordier, pour l’entretien des puits communs de la ville, moyennant 36 livres par an.
- En 1619 : Marché avec Jean Baudouin, maçon, pour faire un puits « jusques à eau vive », au lieu de Châtenay.
- En 1637 : Traité des échevins de Châteaudun avec Marguerite Briant pour l’entretenement des cordes et cordages des puits de la ville.
Voici, ci-après, la liste incomplète de quelques noms de maçons à Charsonville qui ont peut être participés à la construction des puits :
- 1723 : Léonard Dufresne
- 1735 : François Boucher
- 1825 : Jacques Chevallier, Silvain Pageneau
- 1831 : Jean Chevalier
- 1833 : François Dupont
- 1834 : Louis François Guedet
- 1867 : Henri Billard
- De 1872 à 1899 : Henri Billard, Fouchet, Henri Dousset
- 1906 à 1930 : Chevallier, Violon
Le puits et la Loi au 18ème siècle
Avant le 19ème siècle, la construction des puits devait respecter la Loi. Vous trouverez, ci-après, quelques exemples de textes de Loi, extraits du livre « des Coutumes des baillages d’Orléans » daté de 1780, applicables pour les paroisses de Charsonville, Coulmiers, Espiez, Tournoisis…
- Si celui, qui a le droit de puiser de l'eau à mon puits, a passé souvent sur mon héritage, et est venu jusqu’à mon puits sans y avoir puisé de l'eau depuis trente ans, il est censé n'avoir pas usé de son droit, et il a perdu son droit de puiser de l'eau sans même conserver celui de passer sur mon héritage, qui n’en était que l'accessoire.
- On ne peut faire et tenir puits à retraits, latrines, ni égouts, près du puits à eau (de peur que les matières ne filtrent dans les puits) de son voisin, sinon qu'il y ait entre deux, neuf pieds de distance (c'est-à-dire environ 3 m), pourvu que ledit puits à eau soit le premier édifié. C’est au demandeur à justifier que son puits est le premier édifié.
- On ne peut avoir ni tenir égouts ou éviers, au moyen desquels les égouts, eaux et immondices puissent choir, prendre conduit et chuter dans le puits à eau et cave de son voisin auparavant édifié….
Les puits communs au bourg de Charsonville
Dans chaque cour de ferme il existait un « puits à eau ». En dehors des fermes très peu d’habitants du bourg et des hameaux possédaient un puits personnel car trop cher à construire et à entretenir. Avec l’apparition du bourg (vers le 11ème siècle), la communauté des habitants de Charsonville ou le Seigneur du village a très certainement décidé de construire un puits dans lequel chaque habitant du bourg pourrait y puiser gratuitement de l’eau (puits banal ?). En effet, le puits était autrefois la seule source d’approvisionnement en eau pour les habitants et pour le bétail. Ce puits commun était utilisé quotidiennement par les femmes. C’est pourquoi il fallait l’entretenir régulièrement et curer le fond pour avoir une eau claire.
Il fallait également le recreuser à de nombreuses reprises lors des épisodes de sécheresse.
Je vous propose la description de deux puits commun (sur quatre) situé au bourg.
Le puits de la place de l’église
La première représentation sur un plan d’un puits à Charsonville date de 1670 (voir figure 1 ci-dessous). Il semble que ce puits soit le premier puits commun du village et qu’il était situé au centre de l’ancien bourg. Il fut représenté sur le plan car à cette époque l’unique puits commun du bourg, la mare, l’église, le cimetière et le « château » étaient des éléments importants de la paroisse.
Je rappelle que le plan de 1670 de Charsonville n’a pas été réalisé par un arpenteur pour donner des informations de topographie générale ou d’itinéraire. Il répondait seulement au besoin pratique d’un propriétaire orléanais dans le cadre d’une vente d’une de ses fermes et de ses parcelles de terre. Il avait recours au plan comme un outil de visualisation de la position et du nombre de ses parcelles de terre sur le territoire de la paroisse de Charsonville, pouvant éclairer sa vente.
L’arpenteur a dessiné un puits à rouleau et manivelle à gauche avec trou dans le muret de la margelle pour extraire le seau.

Le puits de la place est toujours représenté sur le plan « napoléonien de 1830 (voir figure 2 ci-dessous) de même qu’il apparaît sur une carte postale du tout début du 20ème siècle (voir figure n° 3 ci-dessous). Il était situé derrière la croix de la place implantée vers 1860.


Puis le système de rouleau, manivelle et seau sera remplacés par une pompe à main avant la guerre de 1914 (voir figure 4 ci-dessous).

Le puits de la grande rue
Le puits de la grande rue est représenté sur le plan napoléonien de 1830 (voir figure 5 ci-dessous).

Le puits de la grande rue apparaît sur une carte postale de Charsonville (voir figure 6 ci-dessous) au tout début du 20ème siècle. Le muret du puits est ouvert d’un côté pour extraire plus facilement le seau rempli d’eau. Une grille fermait cette ouverture pour éviter les accidents. Sur la figure 7 ci-dessous on aperçoit trois femmes, avec des seaux en bois, autour du puits.


Le puits et la météo
Le puits était creusé jusqu’à atteindre le niveau de l’eau de la nappe phréatique, pas plus.
Cependant quand l’eau disparaissait au fond du puits, à cause d’une sécheresse, le puits était de nouveau creusé un peu plus profondément. A Charsonville, les puits recensés par le BRGM en 1966 mesuraient tous 16m de profondeur pour 3 m de réserve d’eau.
Voici quelques exemples d’incidences climatiques sur les puits durant le 17 et 18ème siècle en France :
- En 1680, la sécheresse est cruelle dans le lyonnais. Dès février 1680, pour trouver de l’eau, il faut creuser les puits existants de 4m supplémentaire pour retrouver la nappe phréatique
- En janvier 1684, La Loire gela. Il gela même dans les caves et les puits.
- En Poitou, en 1734, presque tous les puits ont tari à cause de la sécheresse.
- A Baccon, en cette année 1743, « le beau bled a valu un écu de 3 livres ; la bonne avoine trente sols. Le vin a esté d'une meilleure qualité que l'année précédente et n'a pas esté cher parce que les vignes n'ont point esté endommagées par la gelée. Les eaux ont esté très basses ».
- Dans la Vienne en 1767, la sécheresse était si importante que les puits les plus vieux ont manqué d’eau.
Le puits et le suicide
Au cours des siècles le puits demeurait, dans les esprits, un lieu « privilégié » pour le suicide ou pour faire disparaître des corps.
Je me souviens d’une horrible et triste expression que j’entendais enfant dans mon village : « je vais aller me jeter dans le puits » pour dire « je vais me suicider ». Cette expression serait courante à priori partout en France. En effet, on relève dans les « Actes de Rémissions » l’utilisation du puits pour se suicider, tuer ou faire disparaître un corps. En voici quelques extraits ci-après :
- En 1375 Pierre de Couteryère, écuyer, de Terminiers, avait noyé sa femme dans un puits, en punition de sa mauvaise conduite pendant qu’il était à la guerre.
- Pierre de Bussy, de Bourges, qui s’était exilé par crainte de poursuites après qu’on eut trouvé dans un puits à Bourges, le cadavre d’un boucher, avec lequel il en était venu aux mains huit jours avant.
- 1412 : Jean Le Beau, riche marchand de Chartres, qui ruiné par les guerres, s’était suicidé en se jetant dans un puits.
- 1416 : Jean Challot, laboureur, avait tué le curé de la Bazoche et avait jeté le corps dans un puits.
- En 1792, le curé d’Epieds s’est jeté dans le puits du presbytère d’Epieds.
La fin du puits
Les puits de Charsonville furent remplacés par le « château d’eau » à partir des années 1950.
Certains anciens puits furent abandonnés. D’autres furent conservés pour servir soit d’alimentation pour arroser les champs, de décharge ou de puisard car certains rejetaient dedans leur réseau d’évacuation des eaux usées de la maison. Par la suite la plupart des fermes réaliseront des forages pour arroser leurs champs.
Mais l’eau du « château d’eau » était chère et certaines personnes conservèrent leurs puits pour arroser leurs jardins (par exemple ma grand mère).
Quand aux puits communaux, ils seront d’abord fermés pour éviter une chute malheureuse, ensuite comblés et effacés (voir figure 8 ci-dessous).

Le puits et le pèlerinage
Saint Sigismond
Voici, ci-après, un extrait du bulletin de la société archéologique et historique de l’orléanais de 1917 qui apporte des précisons sur la légende et la position géographique du puits dans lequel fut jeté Saint Sigismond en 523.
Clodomir, roi d'Orléans, fit mettre à mort et jeter dans un puits son prisonnier Sigismond, roi des Bourguignons, ainsi que la femme et les enfants de celui-ci, en l'année 523.
Le puits dans lequel fut jeté le roi des Bourguignons, devint l'objet de la vénération des fidèles. Il se créa à l'endroit même du pèlerinage une localité qui, dès 990, est appelée dans une charte de Hugues-Capet « Puteus Sancti Sigismundi ». Ce fut la paroisse de Saint-Simon; tel est le nom vraiment français tiré de l'accusatif latin Sigismundum. Saint-Sigismond est une forme savante assez récente. Cassini, au XVIIIe siècle, écrit sur sa carte « Saint-Sigismond », mais il a soin d'ajouter « vulgo Saint Simon ». Grégoire de Tours nous apprend que le cadavre de Sigismond fut retiré du puits, transporté et enterré dans l'abbaye d'Agaune (aujourd'hui St-Maurice-en-Valais, Suisse).
Le célèbre puits existe encore. Voici quel en était l'état en 1837, d'après une curieuse lettre du maire de cette commune, Pinsard, adressée au Préfet du Loiret, le 7 octobre de ladite année. Nous en avons respecté la graphie incorrecte:
« Je vous dirai qu'il existe dans la commune de Saint-Sigismond, au milieu de reste des ruines d'une ancienne église vendue dans la Révolution de 1789, à peu près en l'année 1790, au ci-devant district de Baugency, le puit où saint Sigismond, roi de Bourgogne, a été jetté, ainsi que sa femme et ses enfants poursuivis par les soldats de Clodomir son frère, qu'on dit avoir été roi d'Orléans, suivant une Histoire de France dont j'ignore le nom de l'auteur. Ce puit est à la suite de l'église qui existe actuellement et dans l'intérieur du cimetière. On a essayé, il y a à peu près soixante et quelques années, à le combler, mais sa grande largeur dans son intérieur a peut-être été la cause que l'on y a renoncé. Sa profondeur au-dessous du sol, dans ce moment-ci, est encore au moins de vingt-cinq pied (environ 8 mètres). Au sommet dudit puit est placé une grosse pierre quarrée de la largeur de 2 pieds qui forme l'entrée dudit puit, et creusée en rond dans toute son épaisseur; cette pierre a un pied d'épaisseur; elle est recouverte par un couvercle en bois que l'on renouvel quand il est usé pour garentir les malheurs qui pourraient en résulter si cette ouverture n'était pas fermée. Ce puit a été longtems l'objet de grands pèlerinages : on y venait de très loin pour y tirer de l'eau que l'on prétendait avoir la vertu de guérir toute espèce de fièvres. Il faut que l'on en ait beaucoup tiré; car la pierre qui forme l'entrée dudit puit est remplie de coulisse que la corde, à laquelle était attachée le vase que l'on descendait dans le puit pour avoir de l'eau, a fait par le frottement de la ditte corde contre les bords du sommet de laditte pierre. La plus grande partie de ce que je vous annonce au sujet de l'eau du puit se pratiquait dans mon jeune âge et à ma pleine connaissance. Voilà, Monsieur le Préfet, tout les renseignements que je peut vous donner sur cette ancien monument qui mérite, je croit, par son importance figurer dans les Annalles du Département du Loiret… »
Ce puits fut fouillé en 1876 par ladite Société; on y trouva un certain nombre d'objets antiques; mais les fouilles ne donnèrent pas tout le résultat qu'on en attendait.
Sainte Godelive
Epouse malheureuse au château de Ghistelles, en Flandre, Godelive est le modèle des femmes qui sont engagées dans les liens d’un funeste mariage. Celui qui l’avait d’abord aimé, poussé par une passion brutale, fut son propre bourreau. Godelive, après trois années de dures privations, fut étranglée et son corps jeté dans un puits. Son impie et cruel époux, ayant bientôt après convolé à d’autres noces, eut une fille qui naquit et demeura aveugle. Jeune encore, cette enfant avait entendu parler de Godelive, que l’on regardait déjà dans le pays comme une sainte, et elle se mit à la prier chaque jour avec ferveur. Or, un jour il lui vint en pensée d’aller au puits où le crime avait été consommé; elle y puisa un peu d’eau et en mouilla ses paupières. Le lendemain, en se réveillant, ses yeux s’ouvrirent pour la première fois à la lumière. Frappé de ce prodige, l’impie et cruel Bertofl lui aussi ouvrit les yeux, il confessa l’énormité de son crime et en fit une pénitence exemplaire Dès lors les populations accoururent de toutes parts au puits sanctifié, et il s’y opérait des guérisons miraculeuses. Depuis le 9ème siècle, où ces faits s’accomplirent, sainte Godelive fut en grande vénération dans le nord de la France, la Belgique et les Pays-Bas.
Le puits et les superstitions
Un livre édité en 1861, nous raconte qu’il y a dans le cimetière attenant à l'église de Saint Denis-des-Puits (département d’Eure-et-Loir), un puits dont l'eau préserve de la rage les chiens et certains autres animaux mordus par des chiens enragés, si l'on peut, dans les quarante-huit heures qui ont suivi la morsure, leur verser de l'eau de ce puits sur le corps. Il faut ensuite tremper également du pain dans cette eau et en faire manger pendant neuf jours à jeun aux animaux mordus; ce préservatif est efficace, et il n'y a pas d'exemple que des animaux mordus et auxquels ce préservatif appliqué à temps aient jamais été atteints de rage ; quelquefois ils ont ce que, dans le pays, on nomme la rage mue dont ils sont incommodés pendant quelques jours après lesquels ils reviennent à la santé.
Il est toutefois utile de remarquer que nous disons que l'eau de ce puits a le don, lorsqu'on s'y prend à temps, de préserver les animaux de la rage, mais non de guérir ceux qui en sont atteints. Si même on laisse écouler plus de quarante-huit heures entre la morsure et le traitement, le préservatif devient impuissant et de nul effet. On traite également ainsi des troupeaux entiers de moutons, des volailles, des lapins ; on place ordinairement ces derniers dans des paniers que l'on descend dans le puits où les animaux sont baignés.
Le puits à l’intérieur d’une maison
Certains puits existaient à l'intérieur des maisons. Chose rare dans un village pour être notée, voici un puits (figure 9 ci-dessous) situé dans l’écurie de l’ancien Relais de Poste de Charsonville qui deviendra au début du 20ème siècle le bureau de la Poste.

Le puits dans l’iconographie
Les manuscrits du « Roman de Renart » des 13 et 14ème siècles sont illustrés de nombreuses miniatures (voir figure 10 ci-dessous), qui donnent à voir les principaux personnages et les scènes les plus connues.
Dans l’un d’eux on voit comment Renart a tendu un piège à Ysengrin pour se sortir d’une mauvaise passe. Et voilà Renart devant un puits profond…

Le puits dans les histoires pour enfants

Conclusion
Il me semble, qu’à l’identique de nos croix de chemin, les puits font partis du patrimoine culturel commun à protéger et à sauvegarder.

Sources
Les pays de la Loire Moyenne dans le trésor des Chartres ; Berry, Blésois, Chartrain, Orléanais, Touraine 1350-1502 (Archives nationales, JJ80-235). Édité par Bernard CHEVALIER Professeur émérite à l'Université François-Rabelais de Tour en 1993.
Le Roman de Renart, Texte établi et traduit par Jean Dufournet et Andrée Méline GF – Flammarion – 1985
« La mémoire des paysans » de Jean Marc Moriceau – Tallandier -2020
« Plouf » de Philippe Corentin dans « l’école des Loisirs » - 1992
Curiosités percheronnes et beauceronnes – 1861
Le Loiret Généalogique
Gallica









