Charsonville : la garenne du "château"
Il existe, au centre du bourg de Charsonville, près de la place de l’église, une rue nommée « rue de la garenne du château ». Cette petite rue goudronnée se prolonge en chemin et aboutit au hameau de Vilaine. La plaque rappelle ainsi la présence historique d’un petit bois à proximité et dépendant de l’actuel « château ».
J’ai eu envie de réaliser ce document en souvenir de mes parents, qui, comme la plupart des habitants de Charsonville, disaient en patois ; « le ch’min de la Gazanne ».
En effet, tout d’un coup, en découvrant le nom de « garenne » sur la plaque, le souvenir du mot « gazanne », prononcé autrefois par mes parents, m’était revenu. Souvenir enfuit depuis si longtemps et qui surgissait. Il me semblait alors que je découvrais un nouveau nom et que le mot « gazanne » disparaissait.
On peut ajouter à cette réflexion que les patois beauceron ne s’écrivaient jamais. Enfants, nous utilisions des mots en patois local uniquement à l’oral.
Ainsi, dans mes recherches sur la paroisse de Charsonville (1600-1800), aux archives départementales du Loiret, je n’ai relevé aucun mot en parler local dans les baux écrits par les différents notaires. Même les rapports des délibérations de la communauté des habitants de Charsonville, à la sortie de la messe, écrits par le notaire, ne comportaient aucun mot en patois et pourtant, à cette époque, j’imagine que les habitants parlaient en patois encore plus que mes parents. Les écrits normatifs, employés par les notaires, étaient incompatibles avec les patois beauceron.
Malheureusement pour nous, le langage, du 17 ème et 18 ème siècle, utilisé par les notaires du village est la seule source qu’il est possible de consulter aujourd’hui et il est bien éloigné des parler locaux (mots, expressions…) de nos aïeux.
L’écrit a éteint progressivement le parler local de nos aïeux ?
Et pourtant les gouvernements français se sont toujours intéressés à la préservation des patois. C’est ainsi que dès 1866, Victor Duruy, ministre de l'Instruction Publique, proposait aux Sociétés Savantes de répondre à un concours national, doté d'un prix, sur les patois ou langages populaires d'une région ou d'une localité.
Comment Garenne est devenue Gazanne ?
Selon Claire Fondet (1938-2019), linguiste, dans le livre d’André Gilbert « L’haritage pardu ou l’amour de la terre », le « re » est devenu en parlé beauceron « za ».
En effet le « r » apical (roulé) se change en « z », consonne sonore continue sans battement et le « é » a donné a.
Origine et définition du mot
Ce mot « Garenne » serait apparu vers le 12 ème siècle donc au Moyen Age. Il proviendrait peut être du latin médiéval « warenna » dérivé du germain « waren » (défense). On entendait autrefois, au Moyen Age, par le terme de Garenne ou Varenne, tout lieu qui était en défense (c'est-à-dire clos ou avec fossés) soit pour la chasse ou pour la pêche.
Dans le temps où la chasse était libre à toutes sortes de personnes, les Garennes du Seigneur étaient les endroits qu’il réservait pour sa chasse particulière. Il y avait non seulement des Garennes à lapins, mais des Garennes à lièvres, à perdrix…
Après, quand la chasse fut restreinte aux seigneurs Hauts Justiciers, on n’entendit plus communément par le terme de Garenne, qu’une Garenne à lapins.
Histoire de l’évolution de la Garenne
Au Moyen Age, le lapin de Garenne avait colonisé l’ensemble de la France grâce à la multiplication des Garennes. Objet d’un privilège seigneurial, celles-ci étaient des espaces d’abord ouverts, puis, à partir du 13ème siècle, plus ou moins clos pour limiter les dégâts causés aux cultures environnantes. Dès cette époque, le lapin était plutôt considéré, hors des Garennes, comme un nuisible qu’il convenait de détruire.
Au 16ème siècle, alors que le lapin commençait à être élevé en cages, la pratique des Garennes est généralisée au nord de la Loire et l’espèce prolifèrera rapidement, engendrant de tels dégâts qu’en 1669 Colbert interdit par ordonnance royale l’établissement de nouvelles Garennes et ordonne la destruction des lapins dans toutes les forets du Roi.
Droit de Garenne
Aux derniers siècles, avant la Révolution, la définition courante est celle d’un lieu destiné à élever exclusivement des lapins. La garenne, du 16 et 17ème siècle, était établie par le seigneur sur ses terres. On considérait le droit de Colombier et le droit de Garenne comme identique. Les lapins et les pigeons, qui sont des animaux nuisibles pour le paysan, sont domestiqués au bénéfice du seigneur. Le seigneur, haut justicier (comme ceux de Charsonville), pouvait posséder colombiers et garennes et pouvait chasser sur toutes les terres de son fief.
Cependant, toutes personnes ayant droit de chasse, ne pouvaient en user sur les terres ensemencées, depuis le premier Mars jusqu’après la moisson. Par ailleurs, par une ordonnance de Charles VI, du 10 janvier 1396, il était défendu à toutes personnes, non nobles, d’avoir des chiens et autres instruments de chasse. Dans l’usage, ceux qui n’avaient pas le droit de chasse, pouvaient avoir des chiens que pour la sûreté de leurs maisons.
Le droit de Garenne a été supprimé à la Révolution française.
Description de la Garenne du « château » en 1670
La garenne était un petit bois créé par un seigneur de Charsonville (avant De Croisilles), de forme rectangulaire. Il était entouré d’un mur en pierre. Dans deux angles de ce rectangle on avait construit des petites tours carrées coiffées d’un toit. Le bois s’arrêtait au chemin « de Charsonville à la Mercellerie », lequel faisait un angle droit à cet endroit. Angle droit qui était toujours visible sur le plan ci-dessous de 1830 et la vue aérienne de 1950 (avant le remembrement de 1970).
La Garenne de la Grand’maison de Charsonville ou « demeure seigneuriale » ou du « château » (désignation apparue fin 19ème siècle), d’une surface d’environ 2,5 à 3 hectares, jouxtait le jardin et le logis seigneurial. La garenne du « château » a probablement disparue au début du 19 ème siècle car vers 1830, il y avait sur le territoire de la commune de Charsonville, environ 2 hectares de bois, 10 hectares de vignes, 5 hectares de plantations d’arbres et de noyers, 7 hectares de jardins.
Cette Garenne était organisé en 4 carrés plantés d’arbres.
D’après le plan ci-dessous de 1670, il semble que l’entrée principale à la Garenne s’effectuait par le côté de la cour de la Grand’maison.
Le mur côté nord s’appuyait sur la grange à Champarts et sur la volière situées dans la cour de la ferme de la Basse Cour.
Le chemin longeait le mur de clôture de la Garenne sur son côté Est et Sud pour ensuite mener aux hameaux de Vilaine, La Mercellerie et de Chevenelle. Les habitants de Charsonville empruntaient également ce chemin pour aller à Ouzouer Le Marché car la route du Mans ne sera construite que vers la fin du 18ème siècle (voir carte Cassini ci-dessous).
L’ancienne Garenne du « château » vers 1830
L’ancienne Garenne vers 1950
Vue actuelle de l'ancien jardin du « château »
Vue actuelle de l’ancienne garenne du « château »
Mais la Garenne du "château" n’était pas la seule de la paroisse. Au 17ème siècle, il existait également des Garennes non closes à proximité des plus importantes fermes de la paroisse de Charsonville ainsi qu'au hameau de Villorceau.
Sources :
- Archives Départementales du Loiret
- Géoportail
- Fiche Marchandeau, Pascal et Vigne 2003 – Le lapin de garenne
- Gallica
- Archive personnelle (plan 1670)