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Jean Jacques Sergent (1945-2011) l'un des derniers typographes

Auteur : Admin  Créé le : 30/01/2025 18:18
Modifié le : 07/02/2025 15:47
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Jean-Jacques Sergent est né le 22 avril 1945 à Orléans.

Il est le fils unique d’une famille modeste où les livres sont rares, voire inexistants.

S’il ne porte pas beaucoup d’intérêt à l’école, il est beaucoup plus attiré par les arts tels que le cinéma, le jazz, la musique contemporaine et la bibliophilie.

Pour rassurer ses parents et subvenir à son existence, il trouve un emploi au service des eaux de la ville d'Orléans. Son travail consistait à "prélever" dans divers établissements de la ville des échantillons d'eau pour les faire analyser par leur laboratoire.

Parallèlement, il nourrit toujours une grande passion pour les livres mais ses moyens financiers étant limités, il constate que le moyen le plus économique d’en acquérir c’est d’en fabriquer soi-même en les imprimant par ses propres moyens.

En 1968, il devient chargé de famille.

 Il commence à acquérir du matériel d’imprimerie comme des casses (casiers en bois destinés à contenir l’ensemble des caractères en plomb, bois ou matière plastique d’une même fonte), des presses qu’il installe dans son appartement. Et c’est le soir qu’il s’adonne, en parfait autodidacte, à sa passion : la typographie.

Afin d’enrichir sa pratique et sa culture, il fréquente des lieux parisiens dédiés à son art tels que l’atelier de Guy Lévis Mano, poète, traducteur et typographe (1904 -1980) qui l’initie à l’art de la composition ou la librairie de Jean-Hugues (libraire, éditeur, galeriste du XXe siècle) qui l’ouvre à la bibliophilie moderne.

En 1972, il quitte son emploi à la mairie d’Orléans pour se concentrer entièrement a la typographie.

Pour se faire, il installe son premier atelier dans le garage de ses parents à Fleury-les-Aubrais.

Il s’équipe alors d’une presse à taille-douce qui lui permet l’impression de gravures en creux et d’une Stanhope à bras qui lui permet de décupler le rendement pouvant atteindre 2 à 3000 feuilles par jour (invention 1ère moitié du 19ème siècle).

Tirage sur une presse manuelle

En 1973 il s’installe avec sa seconde épouse Marie-Christine dans une petite maison du XVIe siècle à Cléry-St-André, située en face de la Basilique, où il aménage son atelier dans une dépendance de cette demeure.

JJ Sergent, chez lui à Cléry Saint André

En 1973, il s’équipe en offset (actuellement le procédé le plus utilisé pour l’impression professionnelle) ce qui lui permet la réalisation de travaux tels que périodiques, catalogues, commandes diverses mais aussi de livres pour ses amis peintres et poètes réalisant ainsi de véritables œuvres d’art.

 

En 1983 il abandonne l’offset et le tirage en taille-douce pour l’imprimerie aux plombs mobiles qui satisfait davantage son goût pour les éditions artisanales.

Composition de texte avec des caractères mobiles en plomb

Sa production ne se limite pas aux livres. Avec une grande sensibilité artistique, il crée des posters, met en page de nombreux textes sur des feuilles d’Arche complètes (papier de prestige composé de fibres longues 100 % coton pour support haute gamme). Il imprime aussi des affiches, des documents officiels, des diplômes, des chartes, des serments etc.

Choix des caractères en plomb

Imprimeur et éditeur jusqu’à ses derniers jours, il décède des suites d’un cancer le 13 août 2011.

Il est enterré dans le cimetière de Cléry-St-André.

L’œuvre de Jean-Jacques Sergent a été déposée par son épouse à la bibliothèque Ste- Geneviève à Paris.

Dans un livre qui lui est consacré « Soldat de plomb » (de Ich et Kar -Editions Cent Pages) l’éditeur a rassemblé de nombreux témoignages d’amis et éditeurs tous plus élogieux les uns que les autres. Tous relatent des anecdotes, des tranches de vie de ce personnage hors norme, amoureux des beaux livres en tant qu’objets esthétiques et aussi pourvoyeurs de culture.

En premier lieu, ce qu’on appréciait chez « Sergent-Fulbert » (son pseudonyme le plus couramment emprunté) c’était l’homme, singulier, passionnant, plein d’humour.

L’artiste Michel Vautier le qualifie « de poète jongleur de mots et d’images… Surréaliste ou plus exactement, anarcho-surréaliste car il chérissait la liberté et pour cela se faisait confidentiel comme les vrais hommes libres. »

Il aimait fréquenter les brocantes et vide-greniers pour y dénicher des objets uniques qu’il mariait avec humour pour leur « imprimer » d’autres sens.

Mais ce qu’il aimait par-dessus tout, c’était les livres. Collectionneur infatigable, il en possédait un nombre impressionnant.

Un de ses amis, François de Boisseuil, raconte avoir eu le rare privilège d’entrer dans sa « bibliothèque » à Cléry-St-André ou plus exactement dans ce qui lui tenait lieu de bibliothèque : sa chambre à coucher.

 Il raconte :

« Une véritable antiquité bancale menait aux deux pièces du premier étage et il fallait traverser le bureau composé d’une cheminée extrêmement monumentale et de 830 dictionnaires pour arriver là, devant la porte basse : la première fois qu’il la poussa devant moi, je fus saisi par le monstre qui respirait vivant dans l’ombre ; Il était plus grand, plus haut, plus long que les murs de la chambre. Les piles obligeaient le jour à rester derrière la fenêtre mais dès la lumière allumée, une galaxie s’ouvrait et les livres vibraient exactement comme lorsqu’on entre dans une volière surpeuplée. »

On parle de 15 000 livres ainsi entassés et chaque salon du livre était l’occasion d’enrichir encore ce nombre astronomique par de nouvelles trouvailles…

Comment Jean-Jacques Sergent travaillait-il ?

François de Boisseuil explique :

« Son activité était double : l’édition ou la coédition et la commande. Cette dernière se divisait elle-même en deux : des éditeurs ou artistes lui confiaient une maquette très précise quand d’autres lui laissaient la liberté de composer à sa guise. »

A partir de 1990, il ajoute une autre corde à son arc : devenir illustrateur de ses propres livres.

Quelques points marquants de son œuvre :

- 1969, parution de son premier livre, un texte de Tristan Maya illustré par Roger Toulouse.

- 349, le nombre de livres sortis de son atelier, édités sous son nom propre ou sous divers pseudonymes.

- Le nombre impressionnant d’artistes ou auteurs anciens ou contemporains imprimés par JJ Sergent parmi lesquels Honoré de Balzac, Machiavel, Mallarmé, Bernard Pallissy, Rabelais… ou des contemporains comme Francis Blanche, Mouloudji, Andrée Chédid Jean-Marie Le Clézio, etc …

Ses livres sont présents dans les départements de bibliophilie modernes ou des réserves des livres rares et précieux de nombreuses bibliothèques étrangères et françaises dont la BNF, l’Arsenal de Paris, la bibliothèque Abbé Grégoire de Blois, les médiathèques d’Orléans Tours, Lyon, Romorantin, Roubaix etc...

Bibliographie et photographies 

Ich&kar: Jean Jacques Sergent, Soldat de plomb 

Les photographies appartiennent à  la collection privée de Marie-Christine Sergent son épouse.