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La légende de Noël de « La Pierre Fenat »

Auteur : Admin  Créé le : 18/12/2022 16:13
Modifié le : 18/12/2022 16:54
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André Gilbert, conteur en patois beauceron, nous raconte la légende de Noël, pluri-séculaire, du dolmen d’Epieds en Beauce (sépulture collective datant du Néolithique, soit notre plus ancien patrimoine bâti ayant plus de 5000 ans d’existence).

Une histouère de Pierre Fenat

 

            C’était dans lès années trente, y’ avé pas encore la radio, on attendé la messe de minuit en veillant ; c été à la grousse farme du bourg, tout l’monde l’été autour de la cheminée, avec pour toute lumière, la lumière dansante du feu, dans l’ fond d’ la méson (dans  lé mésons, la grande pièce où on mangé et où on f’sé la cuisine, et où à l’ occasion on couché, s’applé la méson). Dans l’ fond, lés hommes appluchint dé calots (noix) , d’vant l’ foyer, assis su dé bancs y’ avé tous lés voisins, l’horloger, Julia, Balbine, l’ notaire et sés enfants, nous tous d’ ma famille, l’ batteux avec sés gnas (enfants), Suzanne tout près, car a l’ até sourde comme pot, et d’vant tout ça, Tante Blanche qui essayé d’ faire chanter dés cantiques de dans l’ temps, ceux d’ l’ Orléanais, les lunettes bin su l’ bout d’ son nez et r’gardant par déssus (nous, les moqueux, on disé qu’ c’ été pour pas les user). La Tante Blanche, le livre à la main, entonné lé chants, Myenne répondé, et les autres essayint d’ suivre, mé nous, tellement à charge, on l’ été toujou en train d’bouger. A la fin pour nous faire t’nir tranquilles, a nous dit :

 

            « J’ vas vous raconter une histoire : c’ é comme ça qu’ la légende de Pierre Fenat a lé v’ nue jusqu’ à nous… »

 

            C’été y’ 2 ou 300 ans, une veille de Noël où qu’ y’ avé la veillée autour du feu comme annui, un veilleux raconté lés histouères du temps passé, y raconté lés légendes dés fées, du diable, du feu follet, et y dit : « A présent, j’vas vous raconter une histoire de Pierre Fenat ».

            Pierre Fenat, on sé pas qui l’a fé, y’ en a qui l’appellent comme ça pasque d’apré eux ça veut dire Pierre Feignante, pour d’autres, et ceux là j’les cré, ça s’appelle Pierre des Fées, car c’é dés fées qui l’ont bâti pour enterrer leu trésor. Parsonne peut y’ aller, mé tout c’ que j’ sé qu’le jour de Nouël à la messe de minuit, l’ dolmen s’ouvre au premier coup de cloche, et se r’ferme au darnyer, et qu’ voyez vous d’ dan ? dés tonnes de richesses à pu savouère quoué en faire. Si vous vl’ez vous sarvir, allez vite, car au darnier coup tout se r’ferme, vous par-dessous, c’é pour ça qu’on a jamé r’vu ceux qui y sont allés.

 

            Vous pensez qu’autour tout l’ monde acouté, car à c’t’ époque là on savé pas lire et on créyé les conteux ! Dans un couin d’ la pièce, y’ en avé un qu’écouté lés oreilles grandes ouvertes, c’été l’ petit François, Fanfoi comme on disé, un gamin dans lé 14-15 ans, bin gentil mé timide, timide on pet pas s’en fére une idée, et y l’acouté , y n’en pardé pas une bouchée. Pasque j’vas vos dire, Fanfoi y l’été amourex , en silence naturellement, y l’été trop timide pour ‘découvir ; y l’été amoureux d’ la Ninise, un bio bout d’ fille a couté  d’ cheux li, y créyé qu’l’ été riche, y y révé à elle jour et nuit et y v’lé toujou rin dire, même en l’approchant y l’été rouge comme un cô, y s’ caché pour la r’ garder de louin, y s’ disé : « Si un jour j’ suis riche, a me r’gardera bin », pour un n’ouseux, c’été un n’ouseux. Donc y l’ acouté l’ conteux, et y s’ disé : «  Ca y é, j’iré l’an prochain ». Arrive l’année d’après, point d’ Fanfoi à la veillée, les autes se d’mandint où qu’y pouvé ête parti. Mon Fanfoi, vous d’vinez, y l’até abouchiné dans un petit buisson à couté d’ Pierre Fenat, les pieds g’lés, la gourde aux mains, et y l’attendé la sonnerie dés cloches. Y’ avé pouint d’horloge à c’ t’ époque-là, et tout sonné pas en même temps, à quoque minutes près. Minuit arrive, il entend sonner la cloche claire de Coulmiers, on d’viné Pierre le chantre qui entonné «  Il est né le divin enfant », Gimony, Saint Simon, la cloche de Charsonville dans la gasanne et l’ pé Georges qui chante « Adeste Fideles », et pis d’ un seul coup la grousse cloche d’Epieds, à c’ moment-là, l’ dolmen s’ouvre et p’tit Fanfoi s’ met vite debout et aperçoué à sés pieds d’l’or, de trésors, dés coyers, dés vases et tout ça brille, éclaire, l’ p’tit Fanfoi é figé d’vant , tant d’or, y peut pas bouger, ça y’ a coupé lés pattes ; la cloche s’arrête, tout r’farme, y l’a même eu l’ temps d’ vouer les ous de tous ceux qui y’ ont été avant li. Il é resté là bin 2 heures, et pis il é rentré cheu li, et là y l’a rin dit. Ca c’é su pus tard, y s’é marié, y l’a eu dé enfants, su la quantité y’ en a toujou un ou deux qu’été un peu comme li, un peu berlodiot ; l’ surnom é resté, gentil, timide, un peu radin, toujou en train de s’ plaindre qu’y sont pas riches…

 

Et la Tante Blanche a terminé en disant : « Vous voyez mé enfants c’ que c’ é d’avouèr envie d’ la richesse qu’on a pas gagné », et nous, on é rasté tout réveu ; j’ peux vous dire qu’ à la messe de minuit on y a pensé au trésor de Pierre Fenat ! 

La Pierre Fenat aujourd'hui (2022)