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La Libération de Chevilly:Souvenirs de Louis Tranchant

Auteur : gaston  Créé le : 11/08/2024 17:33
Modifié le : 11/08/2024 17:36
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Voici 80 ans, plusieurs villages de Beauce ont vu arriver les troupes américaines. Plusieurs commémorations sont organisées pour ne pas oublier cette période et que nos enfants sachent ce qui c'est passé et que ce souvenir, cette histoire soit aussi la leur.

Ci dessous le témoignage de Louis Tranchant pour la commune de Chevilly

 
Le mardi 15 août 1944
 
Il fait beau temps. Dans l’après- midi, une vague d’avions fait une ronde au-dessus d’un train
de munitions garé à La Foulonnerie. Sur le retour, l’un d’eux sème 2 bombes dans les champs
vers Huneau : défaillance du système de décrochage ?
Dans ce carrousel, l’objectif a été atteint, de violentes explosions durant plusieurs heures
surmontées d’un nuage de fumée. Le soir, le temps est lourd, orageux, mais il n’y a pas que le
tonnerre qui gronde au loin : en se penchant sur la terre on perçoit des roulements sourds,
des vibrations, des ferraillements comme des bruits de chaînes ; on devait l’apprendre, c’était
le gros de la colonne américaine qui se massait vers les bois de Bucy-Saint-Liphard.
Vers 22 heures, au camp de Bricy, de très violentes explosions ébranlent l’air et illuminent le
ciel, des matières cendreuses retombent jusqu’à La Provenchère. Au loin, vers Patay et
Châteaudun, des lueurs, des embrasements, la nuit est chaude, les gens du voisinage ne se
pressent pas pour aller au lit.
 
Mercredi 16 août
 
Vers 10 heures, un « troupeau » d’une trentaine d’allemands s’éloigne à pied de Bricy. Ils
passent sur le chemin de terre de Domecy et se dirigent vers la route de Paris. Ils sont armés
et semblent éviter les agglomérations. Vers 15 heures, sur la D102 roulent des colonnes légères
vers Sougy, l’une d’elles bifurque à Huêtre pour gagner St Lyé. Sur les cartes routières, les
chemins vicinaux ne sont jamais bien indiqués. Ils peuvent, de ce fait, réserver quelques
traquenards. Les libérateurs sont heureux de trouver un gars de la région disposé pour
s’asseoir à côté du chauffeur de la jeep de tête de colonne qui trace le parcours à 200 m devant
la première blindée sur pneus. Dans un mauvais anglais appris il y a 20 ans au collège Benjamin
Franklin d’Orléans, prononcé avec l’accent beauceron, mélangé d’allemand acquis depuis peu
derrière les barbelés, il arrive à transmettre, en phonie directe, les renseignements utiles. A
l’encoignure de la Ferme des Francs, le patron, Roland Nouvellon, regardait avec ses
domestiques et dit : « Cousin, si tu as envie de te faire tuer, c’est encore plein de boches
partout ». Passé Chameul, au lieu de tourner, il faut filer droit dans les champs, car plus loin il
y a 2 petits bois à éviter. On peut s’y faire canarder et ce n’est pas le bricolage de fer à T et
cornière monté à l’avant du capot qui pourrait esquiver le risque d’être décapité par un filin
tendu entre les arbres.
Des moissonneurs regardent avec surprise l’étrange slalom entre les trios de gerbes de blé.
Autre avantage, la surveillance facile de la N20, ce qu’explique le gars de Beauce : « This is the
great way to Paris, number twenty. »
En débouchant dans la grande rue de Chevilly, presque déserte, la première personne
rencontrée est Prosper Martin, le maçon. Au moment où le guide indiquait « To take the first
street at fifty meters, turn on left “, un groupe de gens s’écriait « des boches ! des boches ! le
doigt pointé sur l’avenue du château. Alors « Quickly ! Quickly turn ! »
 
La rue de la gare fait un léger arrondi face à latelier du charron Besnault, les quatre gaillards
sautent en voltige, à plat ventre de la Jeep à peine stoppée et aussitôt 3 carabines crachent en
direction dun side-car chevauché par 3 fritz, qui sautent à leur tour avec prestance dans le
champ de blé situé à leur droite. La blindée arrive au carrefour, de sa tourelle le chef scrute le
champ qui ondule. Il sabaisse et arrose copieusement les épis de quelques rafales de sa grosse
mitrailleuse. Voyant son guide français qui se dirige vers la moto arrêtée à une centaine de
mètres (avec le désir de se lapproprier, un beauceron ne laisse rien perdre) un coup de canon
dans les branches dun marronnier qui se cassent contraint lamateur de la machine à faire un
bond sur le côté vers la maison du Docteur Marmasse, un autre obus bien visé dans le réservoir
et la mécanique flambe. Quel gâchis
!
Un attroupement sétait formé, les habitants, les notabilités du pays. Mr et Melle Darblay
parlent anglais avec le gros chef de patrouille, un imposant gaillard tout bronzé, les yeux
fatigués par les poussières. Mr Sené, le pharmacien etc Des gens amènent un vieux frisé
maigre, 50 ans
; interrogatoire en allemand par le chef pendant que 2 soldats pointent sur lui
le canon des carabines. De ses poches vidées tombe un petit stock de «
choses » en
caoutchouc qui le font qualifier de Schwein
! Pig ! Vieux cochon ! Le chef demanda au guide
sil les accompagnait jusquà Saint-Lyé. Celui-ci lui fit comprendre que la route était directe. Ne
voulant pas perdre de temps pour capturer les allemands qui restaient au château, les
américains repartirent. Des gens avaient affirmé que lallée était minée. En effet il y avait
quelques trous de creusés sur les côtés en prévision. Une visite à la moto incendiée sur lavant,
une mitraillette trouvée dans le side-car, bien à point, pour mettre en joue un jeune et svelte
allemand qui surgit des blés et lève les bras en se rendant au groupe de personnes qui avait
suivi, remettre larme à un jeune homme de Chevilly
: « Avec ça tu pourras le garder avec son
copain
». A 500 m plus loin, trouvé un allemand âgé de 40 ans environ assis au pied dun arbre
«
Krieg fertig, alles gefangenen ! » Il répond en assez bon français, tout en montrant la paume
de sa main blessée, quil est daccord pour cela avec ses camarades qui sont au château, à part
un seul qui préfère Kaput. Pendant la conversation, rejoint par deux gars de Chevilly (Pothain
et Augusto
?) et qui suivent par derrière jusquau château où se trouvent 2 allemands, lun
deux boite dune jambe, lautre revient avec 2 bouteilles de Bordeaux blanc et les tend aux
français. Tous, très amicalement, boivent à même le goulot. Les allemands sont très heureux
de se rendre à des français civils, car les américains leur tirent dessus
? Une chance, le « dur »
est parti à moto. Il se sera fait flinguer vers Sougy (appris par la suite). Trouvé un fusil Mauser,
le remettre à Pothain en lui disant «
ça te fera une contenance pour les escorter jusquà la
mairie
». Sur ce, le guide convoyeur des américains sen alla retrouver sa famille, aussi
discrètement quil était venu. Dans la soirée, des garçons de Patay sont venus chercher des
voitures pour un maquis
? Mais peu après, les allemands revenus en force dans Patay
récupérèrent les véhicules.

Voici, sans fioriture, le témoignage dévènements vieux de 30 ans

Louis TRANCHANT (retranscription d'un document issu des archives municipales de Chevilly); ce Louis Tranchant n'était pas né ni domicilé à Chevilly mais certainement présent ce jour-là

    Gabriel Paviost a également raconté "sa" seconde guerre mondiale, voir son récit dans l'ouvrage de Joël Gaudin "Chevilly hier et aujourd'hui"