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Patay libéré en 1944: le témoignage de Michel GENIES

Auteur : Admin  Créé le : 29/09/2024 18:15
Modifié le : 30/09/2024 20:56
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Les commémorations du 80ème anniversaire des villes et villages de notre Pays a suscité le partage de nouveaux témoignages découverts dans les archives de nos concitoyens?

C(est le cas de ce document, ecrit par Michel Génies à l'époque commis chez son père charcutier à Patay qui nous a été communiqué par Eric Guizet à qui il avait été confié et l'a transcrit en respectant le texte initial, y comptis avec les fautes d'orthographe.

Rappelons que Michel est le frère de François, le premier président de notre association "Racines du Pays Loire-Beauce"

Une vive émotion le 15 août 1944.

(Extrait de « Souvenirs de guerre » de Michel Geniès)

 

 

La journée du 15 août se déroule, avec ses beaux offices traditionnels, la procession se forme, mais l’assistance est fiévreuse, oppressée : l’orage flotte en l’air et déjà on entend claquer au loin la mitrailleuse, le canon gronde par instant car l’heure de la libération a sonné.

Nous voici maintenant autour de la table familiale où trône un bouquet blanc : nous fêtons la sainte Marie, Marie-Thérèse et Marie-Agnès. Serge Reneuve est invité. Une bonne demi-heure se passe ainsi dans la joie.

Mais, le camp de Bricy est en train de sauter. Cela secoue assez fort. Serge Reneuve préfère partir. Et nous laissons là le dessert dans nos assiettes. Nous allons dans la salle à manger. Dehors, le vent souffle. Et chaque minute une explosion se produit. Je suis énervé, j’ai comme un présentiment. Mes deux sœurs me laissent en plan et vont voir Françoise Gilbert. Je fais un potin du diable auprès de Maman pour qu’elle aille les chercher. Elle le fait enfin et va coucher Marie-Agnès tandis que nous attaquons une partie de jeu des sept familles.

Soudain, Papa entre : « Tous à la cave. » crie-t-il. « Les Allemands font sauter le train ». En effet depuis deux jours les Allemands sont en train de charger un train de munitions dans notre gare, ce qui nous inquiète.

Les munitions présentes sur le train bloqué en gare de Patay le 15 août 1944

Surtout qu’en sortant des vêpres on a vu un boche courir en pleine vitesse, en chemise, une tête de fou, d’une main une grenade, de l’autre son fusil.

Et comme Papa entre, il se fait un grand mouvement dans la rue.

Nous volons à l’escalier de la cave et nous descendons, notre pauvre Marie-Agnès enfouie sous les couvertures. Maman me la passe et remonte aussitôt. Monsieur Bigot et sa femme arrivent. Nous avons là un charcutier de Versailles. Les trois hommes et Maman font tous les voyages et descendent une échelle que nous montons sur nos bacs à saumure, ce qui fait l’armature et le sommier d’un lit, une pioche, une pelle, deux valises de linge car peut-être, lorsque nous remontrons…

Nous couchons Marie-Agnès sur ce lit improvisé et nous sommes installés. A ce moment, quelqu’un nous appelle. C’est Mireille qui habite tout près de la gare et vient chercher notre diable pour déménager. En haut, l’orage s’est déclaré, le tonnerre vient de lui tomber aux pieds.

Nous attendons… et nous blaguons : Nous parlons de l’heure H et du jour J. Papa distribue des tartines et nous fait boire un « canard ». Mais quelqu’un nous appelle. C’est le docteur Sirot :

« Hé, vous savez, je viens de voir l’officier allemand. Le train saute dans un quart d’heure au plus. Il n’y aura qu’une explosion, mais terrible : il ne répond pas des caves.

Je peux emmener deux ou trois de vos enfants si vous voulez. »

Mais Papa le remercie. Aussitôt nous voilà affolés. Mes frères et sœurs sanglote sans trop savoir pourquoi en voyant Maman pleurer et Marie-Agnès soulever sa petite tête. Pour mon compte, mon cœur bat à coups redoublés et, pour employer une expression qui fait image, je n’en mène pas large. Mais Papa, voyant notre mouvement, se met en travers de la montée de la cave et crie : « Personne ne remontra d’ici ! » Alors le désespoir est à son comble. Monsieur Bigot qui a fait la guerre de 14 et qui doit savoir comment on fait, reste calme et assure qu’il n’y a pas de danger. Cela nous rassure un peu. Puis Papa nous explique que tout ne va pas sauter d’un seul coup et que si d’ailleurs l’explosion est si terrible nous n’aurons pas le temps de nous éloigner en un quart d’heure, sous la pluie battante. Bref, nous voilà consolés. Mes frères et sœurs s’endorment, Maman prend Marie-Agnès dans ses bras. Nous sommes parés.

Advienne que pourra !

Soudain une terrible explosion ébranle le sol, nous souffle violemment et je pense en moi-même : Si ce n’est que cela… Toutefois, j’appuie à deux mins sur mon cœur. Mais nous voilà secoués une seconde fois. Alors le souffle éteint la bougie. François me serre le bras, je sens qu’il tremble, mais il dit pour calmer Marie-Thérèse qui pleure : « C’est rien, tu vois, je suis un homme : je n’ai pas peur . » Marie-Agnès hurle et Maman la berce doucement. Papa inspecte la voute. Une troisième, encore plus sinistre, car nous sommes plongés dans l’obscurité et là-haut, on entend les vitres tomber en morceaux, les ardoises s’écraser sur le sol et les cornières des wagons pleuvoir dans une véritable avalanche de boulons chauffés à blanc.

Un paysage de désolation au matin du 16 août 1944

Et quatorze fois, la même explosion se répéta et quatorze fois la bougie faillit s’éteindre.
Voilà un quart d’heure que c’est fini. Nous sommes toujours à la cave, toujours attente, mais on nous appelle de là-haut. C’est un voisin, Monsieur Leclerc.
« Geniès !

-Oui !

-Faut remonter, c’est fini, mais Patay est en feu.

-Bon ! On y court !

Aussitôt les trois hommes remontent en hâte. Papa qui est brancardier chef emmène son brancard. Moi je monte faire le guet au feu. Comme j’arrive en haut, le tocsin résonne lugubrement car tout Patay est parti. A travers le toit de la buanderie, j’aperçois des lueurs rouges. Dans la cour, je marche sur le crépis. Toutes les portes sont ouvertes ; le rideau de fer est littéralement plié en accordéon. Dans la venelle, je marche sur des ardoises et du verre. Dans la rue, les fils sont tombés à terre. Je me bute contre un morceau de wagon et manque de me casser le cou. Le rideau de la boutique a eu le même sort que celui du garage. La devanture de marbre est sur le trottoir ; toute la plaque du haut a tenu.

La gare de Patay à l'aube du 16 août 1944

Puis Maman monte. Et alors nous passons l’intérieur de la maison en inspection. Les cloisons sont toutes fendues et décollées du mur. Dans la mansarde le plafond est tombé sur les lits, on trouve partout un doigt de poussière. Maintenant les gens reviennent à leur maison.

Dans le ciel, de gros nuages roulent et contrastent tragiquement avec la colonne d’étincelles qui jaillit à chaque instant. Le clocher est éclairé d’une lueur rougeâtre.

Il y a le feu chez Monsieur Roger : Il n’en restera rien.

Puis Papa revient ; toute la famille remonte de la cave. Des amis reviennent voir s’il y a du mal.

Et enfin nous parlons de prendre un peu de repos. Nous mettons des matelas à même la terre et nous couchons tous dans les deux pièces qui sont restées intactes.

Bien entendu, il n’y a pas d’électricité et à chaque fois que Marie-Agnès se trouve dans l’obscurité elle se met à pleurer car elle se souvient du mauvais éclairage de la cave.

Notre court sommeil est coupé par des explosions qui font trembler les cloisons. Le matin est vite arrivé.

Nous sommes debout plus tôt que de nature car que de travail !

François commence déjà à faire une collection d’éclats. Pour mon compte je ramasse les plaques de marbre brisées qui gisent au bas de la devanture. Chacun aide du mieux qu’il peut mais la besogne n’avance pas vite.

Je déblaie la boutique à la pelle et charge les morceaux de verre dans la brouette. Déjà dans le pays un tas de gravats et de vitres brisées s’élève devant chaque porte.

Je monte ensuite au premier et là, moyen expéditif que tout le pays a adopté, je lance le plafond en pièces détachées naturellement, par la fenêtre.

La chaussée est jonchée de verre pilé. Ce n’est dans la rue que bruit de verre qu’on remue. De coups de marteaux, et partout un murmure contre le Boche qui nous avait prédit que notre pays n’étant pas collaborateur serait puni.

Soudain un vrombissement de moteur puis un cri « Les Américains » ; aussitôt c’est le délire ; je cours sur la place, en tenue d’abatteur, pieds nus dans des sabots en bois. Tout le monde se félicite, oubliées les émotions de la nuit, les dégâts personnels ; « Ils » sont là ; la place devient une mer humaine d’où s’élève un grand murmure, les cloches sonnent à la volée, on avance les pendules d’une heure (plus d’heure allemande !), des drapeaux sont hissés jusqu’au clocher et débordent partout des fenêtres ; un collaborateur voit son drapeau arraché ; puis fous de joie, tous petits et grands, on se précipite à la gare, là où « Ils » sont. En voyant ces grands gaillards juchés sur leur fameuses jeeps, l’émotion nous oppresse : nous les voyons, nous les touchons, nous les embrassons, nous les couvrons de fleurs, noud leur offrons à boire ; eux regardent gravement le triste spectacle que leur offre la gare et son quartier ; puis ils participent à la joie générale distribuent des cigarettes et des gâteaux sans oublier le « chewing-gum » ! Mais les trois premières jeeps s’en vont : ce n’est que l’avant-garde. Comme je rentre à la maison pour me nettoyer afin de fêter plus décemment leur arrivée (J’en ai oublié mon travail que mon compagnon est obligé de terminer seul) je rencontre encore quelques autos blindées que j’acclame comme il se doit.

Maintenant la fanfare défile suivie des F.F.I. (de la dernière heure) ; puis elle joue la Marseillaise et tous nous nous découvrons émus ; une grande agitation secoue le pays en liesse.

Les F.F.I. font des prisonniers boches qui gagnent la gendarmerie escortés de leurs gardiens… et des injures de la foule.

Quelques avions alliés passent dans le ciel, nous les applaudissons frénétiquement et faisons les marioles : nous n’avons plus rien à craindre ! Mais la providence nous réservait une mauvaise surprise.

En effet le lendemain matin jeudi 17 août je suis réveillé au bruit d’une conversation : j’ai cru entendre qu’il fallait enlever les drapeaux, que les Boches réoccupent le pays. Quelle déception ! en un clin d’œil, Maman réveille tout le monde : il va y avoir combat, telle est notre pensée. Un F.F.I. passe sous nos fenêtres un fusil en bandoulière, rasant les murs puis revient sur ses pas après un rapide coup d’œil sur la place… déserte. Nous sommes sur le qui-vive. Les Allemands ont braqué des canons aux quatre coins du pays. Interdiction d’en sortir. Jusqu’à midi rein. Pendant le déjeuner un bruit de véhicule c’est une chenillette allemande qui patrouille.

Et nous sommes victimes du bobard : « On dit » que les troupes américaines ont demandé au maire s’il choisissait une attaque par tanks ou par avions ; ce qui nous met plus en alerte. Nous nous tenons près de la descente de cave chacun son manteau sur son bras ; par deux fois nous avons une fausse alerte : Deux fois les chasseurs amis ont passé en rasant les toits !

Vers quatre heures de l’après-midi coup de tambour « chacun quel qu’il soit doit donner les armes qu’il a en sa possession, sans quoi le pays sera bombardé et incendié » ; en effet les Boches ont cueilli deux Américains qu’ils ont menés à la gendarmerie où ils ont découvert… leurs amis de la « glorieuse armée » ; pour ce motif les Allemands ont dressé une liste d’hommes pris au hasard les personnalités en tête (maire, adjoint, curé) qui seront fusillés en cas de rébellion ; mais les F.F.I., flairant le danger et prenant leur courage à deux mains ont fui ou se sont cachés, tant-pis pour ceux qui restent.

A six heures nouveau coup de tambour : Interdiction de sortir de huit heures à quatre heures du matin sous peine de mort ». Et l’on se dit le combat va avoir lieu cette nuit. Nous prenons donc nos dispositions pour parer à toute éventualités et nous couchons tout habillés entassés dans la même chambre pour rester groupés en cas de danger.

Vers neuf heures un vague bruit de camions et des cris : Qu’est-ce ? Nous ne nous occupons point de ce fait et restons dans les mêmes conditions d’alerte ; ceux qui ont mis le nez dehors ont tout simplement vu la fuite des Allemands masquant cette sortie triomphale par une trêve.

Le lendemain matin vendredi 18 août nous apprenons avec joie cette nouvelle ; nous nous hasardons à pavoiser. Cependant si quelqu’un nous demandait si nous étions libérés je répondrai comme le Normand. Vers quatre heures de l’après-midi encore un coup de tambour mais cette fois pour annoncer qu’il fallait pavoiser et se préparer pour recevoir officiellement les Américains.
Dans la hâte fébrile nous achevons de pavoiser ; nous sommes tous frais et fringants qui des cocardes à la boutonnière qui des rubans tricolores dans les cheveux. Nous attendons en vain. Et la journée se termine ; avec regret sans que nous ayons vu nos libérateurs ; nous sommes les victimes de la guerre-éclair !

Mais le jour suivant nous les voyons enfin pour de vrai cette fois dans toute leur puissance de matériel devant laquelle nous restons bouche bée. Pendant cinq heures sans discontinuer une interminable succession de jeeps, de camions, de canons, d’ambulances, de tanks, font trembler le sol.

Le dimanche 20 août pendant toute la matinée le flot continue et nous sommes cette fois bien sûrs nous sommes Libérés.


Les patichons en liesse devant le Cheval Blanc une fois la Libération confirmée

Voici la chronologie de notre Libération :


 

15 août : Premier départ des Boches avec explosion du train

16 août : Arrivée des Américains

17 août : Réoccupation par les Boches

18 août : No man’s land (Nous sommes maîtres)

19 août : Arrivée des Américains

 

20 août : Libération où l’on dansa sous la halle parmi les tas de gravats et de verre.

Les patichons manifestent leur joie et leurs remerciements à ce chauffeur américain de Jeep.

Suzanne Guillaume Catherine Hennebert pour répondre à la question .En haut à gauche  - Pierre Thaumin- Jeanine Damon (fille de Roger l'ébéniste- Pierrette Martin (son père travaillait à la gare). - Lucien Descausses