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Petit Journal N° 17 Page N° 3

Auteur : Poulot  Créé le : 02/03/2015 09:50
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Au cœur de la Beauce,

 

ENQUÊTE sur un paysan sans histoire

 

Le monde d’Aubin Denizet, 1798-1854

 

En 1998, Alain Corbin, professeur à la Sorbonne, tente ce qu’aucun historien avant lui n’avait osé : étudier un parfait inconnu, un sabotier analphabète de l’Orne, Pinagot. J’ai repris sa démarche pour écrire un livre sur le monde et la vie de l’arrière-grand-père de mon grand-père, Aubin Denizet qui a vécu à Germignonville, à trente kilomètres de Tournoisis. Pourquoi lui ? Aubin était le premier ancêtre sur lequel les mémoires familiales étaient muettes. Il n’a rien laissé d’autre que sa signature au bas des registres.

 

Signature d’Aubin Denizet le 11 février 1827 sur l’acte de donation fait par sa mère, Marie-Françoise Perrault. (AD, 2 E 75/64).

 

 

 

 

La recherche a débuté avec les informations lapidaires de l’état civil : des noms, des prénoms, des dates et un métier. La consultation des archives communales et départementales a généré une moisson abondante d’informations. Je les ai triées selon une règle d’or : mon ancêtre était la pièce centrale d’un puzzle dont les milliers de morceaux sélectionnés devaient éclairer sa vie et son monde. Alors, que révèlent les archives sur ce « paysan sans histoire » ?

C’est un homme prudent. Il vend peu, achète peu. Il préserve les 20 hectares transmis par son père et son beau-père ; il en loue autant. Il cultive donc 40 hectares divisés en plus de 80 parcelles… Il cultive d’abord le blé qui rend bon an mal an 15 quintaux. Pas plus. La révolution agricole en est à ses balbutiements : pas de batteuse, pas d’engrais chimique. Aubin, en fin de vie, abandonne un peu la jachère pour les prairies artificielles.

Père de sept enfants, ce cultivateur assez aisé devient conseiller municipal. Avec lui, nous suivons les dossiers d’une commune ordinaire : réfection de l’église, construction de l’école et de la mairie, lutte contre les incendies et les vagabonds, premières élections au suffrage universel. Il est toujours bien élu ; ses enfants sont souvent choisis comme parrains et marraines, signes qu’il est estimé. La famille gagne en respectabilité par la promotion de son fils aîné séminariste à Chartres, bientôt curé à Châteaudun.  En revanche, le déclassement social guette son beau-frère. Laboureur à son mariage, il finit journalier, sa maison est saisie. Sa fille, domestique de ferme, se retrouve le ventre gros et fait même déposer son enfant au tour de Chartres.

Aubin se garde de faire des histoires. Il n’est mêlé à aucun des litiges dont regorge la justice de paix. Mais il connait petites et grandes histoires qui animent son monde grâce à sa fonction de conseiller, à la situation de sa maison près de l’église, de l’école, bref les lieux où les nouvelles se donnent. Ainsi, il témoigne dans une affaire de ratirage, estimant  que  le champ de son voisin a été mordu de… quelques centimètres. Un autre de ses voisins passe huit jours en prison pour avoir frappé sa femme qui obtient la séparation de corps. Il suit le scandale provoqué par le mariage de la sage-femme Legrand - 26 ans -  avec le vieux Dorson âgé de 77 ans, entend la rumeur stupéfiante qui coure dans le canton et selon laquelle, un gars de Prasville aurait eu un « monstre » avec une ânesse.

       Le cadre de vie d’Aubin, c’est son village, Voves, Orgères, Janville, Terminiers, en un mot la Beauce. Mais ses horizons s’élargissent par les récits des voyages que font des habitants de Germignonville en Touraine, dans le Massif Central ; par le destin de Simon Lavo, né à 50 mètres de chez lui, et chirurgien major de l'expédition Lapérouse, par le contact avec l’occupant prussien en 1815.

       Aubin est un oublié de l’histoire. Parmi des millions d’autres. Ne doutons pas que sa vie ressemble peu ou proue à celle qu’ont menée la majorité de nos ancêtres.

  

Alain Denizet

 

PS : Pour les personnes intéressées, il me reste quelques exemplaires du livre « Enquête sur un paysan sans histoire ».

(Joindre un chèque de 30 euros – 26 euros pour le livre + 4 euros de port – Alain Denizet, 26 rue de l’Enfer, 27650 MUZET)

Sortie prévue pour mon prochain livre en avril 2015. Il est consacré à  « L’affaire Brierre, 1901-1910 » : le quintuple assassinat commis à Corancez en 1901 est le crime le plus médiatisé en France entre 1870 et 1914.