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L'école à Charsonville au 19 ème siècle

Auteur : Patrick  Créé le : 06/10/2023 12:24
Modifié le : 17/10/2023 12:30
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Dans ce récit « Pierre, commencement d’une vie bourgeoise » écrit en 1898-1899 mais publié après sa mort, Charles Péguy nous livre ses souvenirs d’enfance à Orléans. En voici un extrait :

Ce dernier apprentissage me fut pénible et dura longtemps. Au lieu de nous faire écrire sur du papier avec des plumes et de l'encre, comme tout le monde, le maître nous faisait écrire sur de l'ardoise avec un crayon d'ardoise qui tenait mal dans les doigts, qui criait, qui grinçait, qui faisait des traits ridicules. Au lieu de nous faire écrire des mots, comme tout le monde, ou tout au moins des lettres, le maître nous faisait écrire des bâtons ridicules indéfiniment, et des jambages, et des boucles ; et puis je trouvais nouveau et déplaisant d'écrire en blanc sur du noir, alors que dans la vie on écrit toujours avec de la couleur sur du blanc ; je me soumettais austèrement par discipline. Pour la première fois de ma vie je connus l'arrière goût amèrement bon de l'obéissance pénible voulue. … Je tâchais de toute ma jeune et coléreuse volonté rentrée tendue à faire des bâtons qui fussent aussi droits aussi régulièrement pleins, aussi régulièrement penchés que les bâtons modèles tracés au tableau noir par le maître aux doigts habitués. Mais j'y réussissais peu, et alors quand le maître passait dans les tables, il ne me faisait pas des compliments…Et il me refaisait mes bâtons, ou bien il m'en faisait faire en me dirigeant les doigts. J'étais douloureusement vexé qu'on me tint les doigts quand j'écrivais ; j'étais douloureusement malheureux quand, sur mon ardoise noire les corrections du maître soulignaient, aggravaient, compliquaient la saleté blanche et poussiéreuse de mes bafouillages.

J'appris lentement à écrire ; je sus enfin faire à peu près les bâtons, les lettres, les mots, les phrases, d'abord sur l'ardoise, puis sur le papier ; je sus tenir mon porte-plume.

 

Introduction

Ce document propose une description de ce qu’a été l’école primaire communale durant le 19ème siècle à Charsonville. Par le hasard des archives, le présent document contient plus d’éléments concernant la classe des filles que celle des garçons.

Comme le souligne Françoise Mayeur (Histoire de l’enseignement et de l’éducation de 1789 à 1930), l’école au 19ème siècle prend une part grandissante dans l'éducation et la vie des enfants de nos campagnes. C’est dans le domaine familial que cette évolution a le plus de peine à se faire jour, tant les traditions, les cultures transmises par voie orale, l’exemple des aînés aussi, ont de poids. Dans la période préscolaire (jusqu’à 7 ou 9 ans) l’enfant hérite des mots et du patois beauceron de ses parents, des superstitions, des premiers gestes de la foi religieuse….

La période de 1800 à 1850 correspond à la naissance de l’école du peuple. Mais on trouve peu de documents sur cette période dans les archives de Charsonville car une partie des documents de la commune furent détruits durant la guerre de 1870 par les prussiens.

 

Première maison d’école en 1852

En 1840, la commune louait pour 70 francs par an une maison au bourg qui servait d’école. Mais on ne connaît pas l’emplacement de cette maison.

Quand à la mairie ; elle occupait une pièce du presbytère. En effet, en 1814 le maire, Toussaint Breton, pour le compte de la commune, avait acheté à François Gasnier, notaire à Orgères, le vieux presbytère de Charsonville situé sur l’actuelle place de l’église. Le presbytère était partagé en deux : le logement du curé et une pièce pour la mairie.

Ce n’est qu’en 1851 que la commune fit construire, à la sortie du bourg, le long du chemin de Charsonville à la ferme de Mortelle, la première partie du bâtiment actuel (côté chemin) qui regroupait la Mairie et l’école. Ce chemin desservait uniquement, à cette époque, l’école et le « Petit moulin ». Le cimetière actuel n’existait pas encore.

 

Mlle Rémy et M Alluis furent les deux premières personnes à enseigner en 1852 dans cette nouvelle école ou « maison d’école ».

Dans ce nouveau bâtiment on trouvait au rez de chaussée une classe pour les filles et une classe pour les garçons (7m x 6m chacune) avec cuisine et cave de chaque côté des classes.

 

Au 1er étage on trouvait une chambre pour l’institutrice et une pour l’instituteur, la mairie étant placée entre les deux logements.

Chaque école (filles et garçons) possédait un préau et des lieux d’aisance. Dès sa construction, les filles et les garçons pouvaient jouer séparément dans une cour de récréation de 100m2. Proche de la cour il y avait également pour les élèves un terrain d’environ 200m2 pour l’enseignement agricole.

Il faut rappeler qu’au début du 19ème siècle il n’y avait pas de récréation. Il fallut attendre l’instruction de Victor Duruy qui préconisa des interruptions de 10 à 15 minutes par demi-journée, pour lutter conte l’immobilité des corps et la fatigue de l’esprit.

Les élèves filles pouvaient s’abriter ou déjeuner (pour certaines) sous un préau de 16m2.

 

Bibliothèque scolaire

Habitués à la presse, aux éditions de livres à grand tirage …, nous avons peine à concevoir l’indigence des moyens de culture et d’information offerts aux habitants de Charsonville au 19ème siècle. Le journal était rare. Il était le plus souvent commenté au café (5 à Charsonville) et ainsi contribuait à l’éducation politique et sociale des habitants.

En 1831, le ministère de l’instruction publique fit distribuer dans toutes les écoles des villes et des villages un grand nombre d’ouvrages. Le moyen ne réussit pas. En 1850 on n’en trouvait plus trace dans les écoles.

Puis en 1862 le ministre Rouland imposa dans chaque école primaire publique une bibliothèque scolaire sous la surveillance de l’instituteur afin d’éviter la perte des ouvrages.

La bibliothèque scolaire à Charsonville comprenait : les livres de classes à l’usage des élèves et les ouvrages pour le prêt gratuit aux familles. Les livres de classe étaient prêtés gratuitement aux élèves inscrits sur la liste des nécessiteux. Pour les autres élèves les parents devaient payer une redevance de 10 centimes par mois par élèves.

A l’école de Charsonville, en 1872, la bibliothèque scolaire (manuels scolaires et ouvrages généraux à prêter aux familles) contenait 96 ouvrages divers, 15 livres de lecture, 9 livres de morale, 14 livres de législation et 32 livres d’Agriculture. Les livres scolaires étaient achetés en un ou plusieurs exemplaires.

Pour exemple, en 1872 des habitants de Charsonville avaient empruntés à la bibliothèque scolaire ; 23 livres par mois en hiver et seulement 5 livres par mois en été. Le nombre total des livres empruntés dans l’année était d’environ 140.

Les livres les plus empruntés concernaient ; la littérature, l’histoire, la géographie et enfin l’agriculture. Voici les principaux titres des ouvrages empruntés : Soirées d’hiver, Veillées de Tourne Bride, Robinson Crusoé, le Musée des familles, Nouveaux contes de tous les pays, les Elèments du bonheur, l’histoire de la Révolution, l’Inde contemporaine, Explorations dans l’Afrique, la découverte de l’Amérique, la vache laitière

La bibliothèque des livres à l’usage du maître et des élèves en 1876 était composée des thèmes suivants : religion chrétienne, lectures, français, histoire, morales, géographie, grammaires, calcul et science Il y avait 64 livres en plusieurs exemplaires dont 400 livres en bon état, 80 en mauvais état et 90 hors d’usage.

A la suite de la création de deux nouvelles classes (soit un total de 4) vers 1880, la bibliothèque scolaire comporta jusqu’à 900 livres fin 1897.

Entre 1892 à 1903, la bibliothèque destinée aux familles contenait 350 livres.

 

Mobilier de la classe

Le mobilier de la classe des filles comprenait en 1876 :

  • un Christ
  • une statue de la Sainte Vierge
  • une estrade et une chaise d’estrade
  • 7 tables
  • 36 encriers (soit 5 encriers par table de 4m plus un encrier pour le bureau de l’institutrice. La plume métallique est introduite dans les écoles dès 1850, mais, encore onéreuse, elle cohabite un temps dans les campagnes avec la plume d’oie. )
  • 16 ardoises
  • 4 tableaux noirs
  • une pendule (Les deux pendules des classes (garçons et filles) furent réparées en 1869 par Chevalier (horloger à Ouzouer le Marché)).
  • un boulier compteur
  • un tableau d’honneur
  • un poêle (La commune payait le chauffage des classes à partir de 1880)
  • 29 tableaux de lecture (Tableaux de lecture (méthode Guyau) double face 1mx1m)
  • un tableau de système métrique
  • un planisphère
  • une carte de France, une du Loiret, une de la Judée et une de l’Europe.

La classe des filles possédait 7 tables de 4m de long par 33cm de large avec 7 bancelles (Une bancelle était un petit banc peu large d’assise) de 16cm de large (pour 50 élèves en moyenne par mois en 1876). En 1876, malgré le peu d’espace restant dans sa classe, l’institutrice souhaitait l’achat de bancs pour les enfants.

En 1874 le menuisier de Charsonville avait entaillé, posé et attaché avec des vis 7 ardoises sur des tables de la classe des filles. Les ardoises étaient en ardoise naturelle. Elles étaient fixées par une vis sur les tables de la classe (voir image ci-dessous) en l’incrustant à fleur de bois. Elles permettaient aux élèves de faire des exercices d’écriture, de calcul et de dessin car le papier était cher et le papier était réservé, pour l’écriture à l’encre, aux élèves plus avancés dans l’écriture.

En 1878, dans la classe des filles, le menuisier posa 24 ardoises « dans » les deux dessus de table de 4m qu’il venait de remplacer. Donc il devait y avoir 12 ardoises par table, donc 12 écoliers (de petites sections) pour une table de 4m.

Le menuisier posa encore 31 ardoises en 1881 dans la classe des garçons.

En 1861, les instituteurs se plaignaient de la médiocrité du mobilier scolaire. Les tables et les bancs étaient en nombre insuffisant, souvent anciens et plus ou moins bien rafistolés. Les bancs n’avaient pas de dossier. Modèle unique, ils servaient aux enfants de différentes tailles. Très longs, ils pouvaient accueillir 10 à 15 enfants. A l’école de Charsonville le menuisier du village entretenait régulièrement, depuis la création de l’école en 1851, le mobilier scolaire (tables, bancelles, boulier, tableaux…) et la réparation des carreaux cassés de la porte d’entrée de la classe des filles et des garçons.

Mais par l’arrêté du 18 juin 1887, les choses changent définitivement. Les communes sont obligées de fournir à l’instituteur un mobilier précis pour sa classe.

 

Instruction religieuse

A Charsonville les écoliers étudiaient de 9h jusqu’à midi puis de 13h à 16h.

Les lois Guizot (1833) et Falloux (1850) avaient suivies la requête des catholiques en plaçant l’instruction religieuse en tête des matières enseignées à l’école primaire. L’instruction religieuse, faisait encore partie intégrante de l’enseignement scolaire à Charsonville jusqu’à la fin du 19ème siècle même si elle avait beaucoup diminuée depuis le début du siècle. L’institutrice et l’instituteur faisaient apprendre le catéchisme à l’école et ils pouvaient accompagner les enfants à l’église le dimanche. Le catéchisme était enseigné à 8h à l’école de Charsonville jusqu’en 1886. Puis, vers 1899, l’instruction du catéchisme avait lieu à l’école tous les 2 jours de 8h à 8h30.

Enraciner la République suppose donc de laïciser l’école. C’est ce à quoi va s’employer Jules Ferry. Il entend procéder à la séparation de l’Église et de l’École. La grande affaire est la mise en place de l’école primaire laïque avec trois aspects :

– Laïcité des locaux : donc retrait des crucifix sur les murs (1882) ;

– Laïcité des programmes scolaires : donc suppression de l’instruction religieuse (1882) ;

– Laïcité du personnel (loi Goblet de 1886).

Cependant en 1882, le maire et le curé de Charsonville pouvaient encore donner un avis sur le rapport annuel de situation de l’école publique des filles et des garçons rédigé par l’institutrice et l’instituteur.

La fermeté n’exclut pas la prudence dans les applications des lois de Jules Ferry. La circulaire de 1882 recommande ainsi de ménager les populations au sujet du retrait des emblèmes religieux dans les écoles.

 

Enfants nécessiteux

Depuis la Révolution l’école était payante mais certains parents étaient trop pauvres pour envoyer leurs enfants à l’école. Ainsi, chaque année il était prévu que la commune de Charsonville dresse une liste (avec le curé) et se charge des frais scolaire des nécessiteux (1franc par enfant par mois).

Chaque année une liste d’enfants (quelques soient leurs âges), qui seraient admis gratuitement à l’école primaire l’année suivante, était proposée, par le maire et le curé de Charsonville, au préfet du Loiret.

Ci-dessous le nombre d’enfants nécessiteux à Charsonville :

En 1834 : 36 enfants (garçons et filles).

En 1853 : 15 garçons et 9 filles soit au total 24 enfants nécessiteux. Les métiers des pères des enfants nécessiteux étaient ; journalier, berger, sabotier, tisserand. Les motifs de la gratuité étaient souvent « enfant de l’hospice », indigence ou familles nombreuses.

En 1865 : 10 garçons et 10 filles

En 1879 : 19 garçons et 14 filles sur 157 élèves pour 963 habitants

En 1880 : 14 garçons et 14 filles

En 1881 ; 19 garçons et 14 filles

 

Cantine

L’école drainait les enfants venus des hameaux qui avaient plusieurs kilomètres (3kms pour Ourcis et Chandry) à faire à pied pour rentrer chez eux, soit une heure de marche à pied avec des sabots. Il n’était pas question pour eux de quitter l’école à midi pour rentrer déjeuner chez leurs parents. Mais la cantine n’existait pas encore. Alors deux solutions s’offraient à eux : ou une entente avec une famille du bourg ou bien le panier-repas apporté de la maison et pris soit sous le préau ou en classe (en hiver).

 

Cours d’aiguilles

En 1876 l’institutrice donnait déjà des travaux d’aiguilles (faire des points devant, des arrières points, des points de côté, d’ourlet, de surjet, de boutonnière) pour toutes les filles. Ces cours supplémentaires lui rapportaient an total 25 francs par an et étaient payés par la commune. Ces travaux d’aiguilles en 1886 représentaient 2h par semaine.

 

Agrandissement de l’école vers 1880

Depuis la fin de la guerre de 1870 le nombre des élèves était croissant (160 élèves au total chaque année) pour seulement deux classes (filles et garçons) soit 80 élèves en moyenne par classe. La commune trouve son point culminant du nombre d’habitants en 1872 avec 964 personnes

Cet état de classe « surchargée » imposait de revoir en urgence l’aménagement de l’école. La commune décida donc de construire 4 nouvelles classes (deux pour les filles et deux pour les garçons) et par conséquent deux nouveaux bâtiments. Chaque classe mesurait 7,50mx7m et 4m de hauteur sous plafond.

Le conseil municipal en 1879 proposa donc au département de construire deux bâtiments identiques (école des filles et école des garçons) sans étage. Les deux nouveaux bâtiments furent construits vers 1880. Le département nomma une institutrice (et un instituteur) adjointe pour enseigner dans la seconde classe.

 

 

L’étage de l’ancienne maison d’école construite en 1851 servit de logements aux instituteurs et institutrices et la mairie s’installa au rez de chaussée.

En 1899 l’école des filles comptait 90 élèves (40 dans la première classe et 50 dans la deuxième classe). 

Par la suite, une cantine et la salle des fêtes furent construites vers 1935.

 

Sources Internet

  • Le Loiret Généalogique
  • Site des archives du Loiret (Archives numérisées)
  • AURELIA (Bibliothèque numérique d’Orléans)
  • Gallica

 

Sources écrites

  • Archives Départementales du Loiret (6 rue d’Illiers, Orléans)
  • Livre de compte du menuisier Chardon (archive personnelle)