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Voleurs de blé à Charsonville en 1850

Auteur : Patrick  Créé le : 22/01/2024 06:39
Modifié le : 30/01/2024 07:20
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La triste vie de Sylvain Chamblain

 et Louis Fautrel

 

L’histoire que vous allez lire est extraite du journal du Loiret de 1850 (site AURELIA) car le vol, de quelques sacs de blé, se déroula sur le territoire de la commune de Charsonville. Pour ce délit, deux hommes, à l’audience du samedi 12 octobre 1850, seront condamnés par la cour d’assises d’Orléans aux travaux forcés. L’un partira à Cayenne pour 20 ans de travaux forcés et l’autre à Brest pour 7 ans de la même peine. A cette même période, comme défenseur des droits de l’homme, Victor Hugo écrira l’incroyable histoire de Jean Valjean dans le roman « Les Misérables ».

A partir de ce fait divers et grâce principalement au service historique de la défense de Brest, à la bibliothèque numérique du Centre de Recherche bretonne et celtique, aux Archives du Loiret, aux archives nationales d’Outre-mer, à l’association « Le Loiret Généalogique »…, j’ai pu reconstituer une petite partie de la vie de ces deux hommes.

Le premier condamné se nomme Louis Chamblain, Chamblant, Chamblans, Chamblain, Chambelain… ? L’écriture de son nom de famille varie beaucoup d’un document à l’autre.

Louis Sylvain Chamblain est né à Tournoisis le 26/11/1811. Son père est Jean Chamblain et sa mère Marguerite Marie Paroissien. Dans cette pauvre famille, seul le père travaille. Il est journalier dans les fermes de la commune de Tournoisis et des environs.

Louis a trois sœurs nées comme lui à Tournoisis ; Anne Chambelain née le 3/4/1804, Catherine Victoire Chambelain née le 13/3/1806 et Marie Honorine Chamblain née le 7/1/1810.

On ne sait rien de son enfance sinon qu’il est illettré comme son père. Jeune, il exerce la profession de marchand de ferrailles.

Sa « vie » de voleur commence le 13 juin 1834 par une affaire de vol à Châteaudun mais dans laquelle il est acquitté. Puis il est de nouveau condamné pour vol le 6 février 1836 par le tribunal correctionnel de Châteaudun à 6 mois d’emprisonnement. Mais Louis Chamblain ne supporte pas la prison et décide de s’évader. Malheureusement pour lui il est repris par la gendarmerie et condamné le 21 mars 1836 pour « vol la nuit à l’aide de fausse clé dans une maison habitée ». Pour ce vol et l’évasion, la justice le condamne à 10 ans de travaux forcés à Brest. Il est inscrit le 17 décembre 1837 dans le registre des détenus sous le n° 21250 (Registre 2030 du bagne de Brest). Sa peine écoulée, il est libéré le 14 avril 1846 et revient en Beauce. Il réside à Patay.

Cependant il sera de nouveau condamné par le tribunal correctionnel de Châteaudun, le 22 août 1846, à 2 mois d’emprisonnement pour vagabondage et rupture de ban (marié avec Célestine Coutier). Il purge sa peine à la maison de correction de Chartres ou il est libéré le 22 octobre 1846. A sa sortie il part habiter Janville.

 

Le deuxième condamné, et futur complice de Chamblain, s’appelle Louis Pierre Fautrel. Il est né le 25 août 1794 en Ile et Vilaine.

Comme beaucoup de Bretons à cette période il part en Beauce pour trouver du travail car la Beauce avait besoin d’une main d’œuvre nombreuse pour les moissons. Il y fait la connaissance de Marie Françoise Catherine Thauvin née à Epieds en 1804 de Barhélemy Thauvin et de Marie Louise Juchet.

Ils se marient le 24/2/1833 et s’installent à Epieds en Beauce au hameau de Cheminiers. Le couple a deux enfants ; Catherine Honorine Victorine Fautrel née le 4/10/1834 et Eugène Florentin Philémon Fautrel né le 11/3/1837.

Louis Fautrel exerce à cette époque la profession de marchand de légumes et de journalier. Il ne sait pas écrire.

Hélas, la misère le pousse à commettre en 1849 son premier vol. Il est condamné le 18 juin, par la cour d’assises d’Eure et Loir, à un an d’emprisonnement. Il purge sa peine à Chartres ou il est libéré le 18 juin 1850.

Tous les deux en quête de petits vols dans la région, leurs chemins vont se croiser. Ils décident alors d’habiter ensemble à Janville.  Ils n’avaient pas d’autres ressources que les vols qu’ils commettaient dans les environs. Mais le vol commit en Août 1850 à Charsonville va changer leur vie à jamais.

En effet, le jeudi 8 Août 1850 dans le petit hameau de Villemain, situé au nord de la commune de Charsonville, François Dabout (50 ans) propriétaire de la ferme du « Grand Villemain », s’aperçoit, et le fait remarquer à son fils Charles, âgé de 23 ans, qu’un tas de grains, placé dans son grenier, a singulièrement diminué et qu’on lui a volé de 10 à 12 hectolitres de blé.

Le vol a nécessairement été commis pendant la nuit du mercredi 7 au jeudi 8, car la veille Dabout a constaté que le tas de grains était intact. Le vol a été commis en escaladant le mur pour s’introduire dans le grenier par une lucarne située à environ 4m du sol. La grande quantité de blé emportée démontre que le vol a été commis par plusieurs individus.

Dans la soirée du même jour, le porcher de la ferme, en allant chercher de la paille à une meule placée en dehors de la ferme, trouve 4 sacs de blé qui y étaient cachés. Il va immédiatement en prévenir son maître, qui va examiner ce blé et reconnaît que c’est une partie de celui qu’on lui avait volé. Pensant que les voleurs ne manqueraient pas de venir pendant la nuit chercher les 4 sacs, Dabout, son fils et les domestiques de la ferme se mettent en embuscade pour les surprendre.

Et en effet, vers 11h du soir, les domestiques qui étaient placés les plus près de la meule aperçoivent un homme qui vient vers eux. Il passe plusieurs fois avec précaution derrière une grange puis il s’approche de la meule ou sont les sacs de blé et se met à les chercher dans la paille.

Alors les domestiques, qui sont embusqués, sautent sur lui. Cet homme qui est ainsi pris en flagrant délit est le nommé Chamblant, forçat libéré d’une condamnation à 10 années de travaux forcés pour vol. Mais il est évident que cet individu n’a pu être seul pour commettre le vol, car il est impossible à un homme seul de mettre en sacs les 10 ou 12 hectolitres de blé, de les descendre du grenier, d’en emporter une grande partie et de cacher l’autre. De même qu’il ne pouvait pas être seul pour emporter les 4 sacs qui restaient.

Ainsi pris en flagrant délit, Chamblant interrogé sur ce qu’il fait à une pareille heure, répond d’abord qu’il va chercher du travail à Meung et qu’il n’est passé par la ferme que pour raccourcir son chemin. Mais quand il voit que Dabout n’est guère disposé à accepter de pareilles explications, il songe à donner l’éveil à son complice et se mit à crier de toutes ses forces : à l’assassin ! à l’assassin !

Or, le complice n’était pas loin. C’est Fautrel, autre repris de justice, libéré d’une condamnation pour vol.

Deux mois plus tard, les deux hommes comparaissent le 12 octobre 1850 devant la cour d’assises du Loiret à Orléans.

 

Louis Sylvain Chamblain est condamné pour « vol d’une certaine quantité de blé, commis la nuit, par plusieurs personnes, à l’aide d’escalade dans un grenier dépendant d’une maison habitée, étant en état de récidive des travaux forcés,  » à la peine des travaux forcés pour 20 ans. Il arrive au bagne de Brest le 1er février 1851 sous le n° d’immatriculation 3195. Trois ans plus tard, le 5 avril 1854, il embarque sur la frégate l’Armide pour Cayenne. En effet, les travaux forcés se déroulaient avant dans les bagnes métropolitains (Brest, Toulon….) puis à partir de 1854 dans les bagnes coloniaux (Guyane, Nouvelle Calédonie). L’Etat français avait décidé de déplacer les bagnes loin de la métropole afin de « préserver la société contre le contact des libérés », rendre à la peine des travaux forcés « son caractère d’intimidation » et « l’utiliser au progrès de la colonisation française ». La Guyane française, bien que colonie de l’Empire depuis 1663, connaissait un développement plus lent que d’autres colonies et ne comportait que quelques bourgades côtières. Elle devient alors colonie pénitentiaire.

« Chamblans » débarque à la Guyane le 5 mai 1854 sous le matricule 2132. Six années après il décède à Saint Louis le 5 avril 1860. Il a 48 ans. L’acte de décès a été envoyé ensuite au préfet d’Eure et Loir le 3 août 1860.

Son complice, Louis Pierre Fautrel, est condamné pour « vol d’une certaine quantité de blé, commis la nuit, par plusieurs personnes, à l’aide d’escalade dans un grenier dépendant d’une maison habitée » à la peine des travaux forcés pour 7 ans. Il arrive au bagne de Brest, avec son complice Chamblain, le 1er février 1851 sous le n° d’immatriculation 3194. Six ans plus tard, et quelques mois seulement avant sa libération, prévue en octobre 1857, il meurt à l’hôpital du bagne de Brest le 23 Août 1857. Il a 63 ans.

 

« La justice est le reflet de la société »