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Petit Journal N°11 Le Compagnonnage par Laurent Bastard

Auteur : Poulot  Créé le : 12/07/2012 21:25

15ème Jeudi de l'Histoire

Le 17 novembre, nous recevions M. Laurent BASTARD, conservateur du musée du Compagnonnage de Tours, qui nous a conté la belle histoire des compagnons du Tour de France. Voici le résumé de son intervention. Les associations de compagnons sont sans conteste les plus anciennes organisations ouvrières toujours en activité. Leurs premières traces remontent au début du XVe siècle et les documents  les concernant se multiplient à partir du XVIIe siècle, lorsque leurs pratiques de réception, empreintes de christianisme populaire, sont condamnées par l’Eglise. Les compagnonnages, composés alors uniquement de jeunes ouvriers, font l’objet de poursuites lorsqu’ils organisent des « mises en interdit » d’ateliers (grèves) ou se battent entre sociétés rivales. Au XIXe siècle, ils connaissent un certain déclin dans le monde ouvrier : la naissance du monde industriel, la mécanisation de certains métiers (ceux du textile, notamment), l’évolution des mentalités (les ouvriers se tournent vers les sociétés de secours mutuels pour se prémunir des pertes de salaire en cas de maladie ou d’accident, ou bien vers les syndicats pour défendre leurs intérêts face aux mauvais patrons). Les compagnons abandonnent alors leurs rixes sous l’influence des idées pacifiques d’Agricol Perdiguier (1805-1875), un compagnon menuisier auteur d’un Livre du Compagnonnage (1839) qui inspira à George Sand son roman Le Compagnon du Tour de France (1841). A partir des années 1860, ils se regroupent en mouvements rassemblant des associations de divers métiers et en 1889 naît l’Union Compagnonnique, qui existe toujours et s’est élargie à de nombreux métiers. Au XXe siècle, les compagnons s’adaptent aux transformations économiques et techniques et deux autres mouvements sont fondés : en 1941, l’Association Ouvrière des Compagnons du Devoir (dans le Loiret, elle a un siège à Cepoy) et en 1952 la Fédération Compagnonnique des Métiers du Bâtiment (sièges à Orléans, rue de la Charpenterie et à La Chapelle-Saint-Mesmin). Ces trois mouvements rassemblent environ 10 000 compagnons. Quels sont les métiers représentés ? Certains compagnonnages se sont éteints, tels ceux du textile (cordiers, tisserands, teinturiers, tailleurs, tondeurs de drap, tisseurs, chapeliers) et certains de la métallurgie (couteliers, fondeurs, cloutiers) mais demeurent bien vivants ceux du bâtiment (charpentiers, tailleurs de pierre, maçons, menuisiers, couvreurs, serruriers, plâtriers, plombiers, peintres), du cuir (cordonniers-bottiers, selliers, maroquiniers, tapissiers), de la métallurgie (forgerons, mécaniciens, maréchaux-ferrants, chaudronniers), de l’alimentation (boulangers, pâtissiers, cuisiniers), ou encore les ébénistes, les tonneliers. Certains métiers ont été « compagnonnisés » depuis peu : électriciens, jardiniers-paysagistes. L’Association ouvrière est devenue par ailleurs un mouvement mixte depuis 2004. Quels sont les caractères spécifiques de ces associations ? Ce sont d’abord, on l’a vu, des associations de gens de métiers, d’ouvriers, d’artisans. Autrefois uniquement composées de jeunes gens et de salariés, elles sont devenues, au cours du XIXe siècle, des mouvements associant jeunes et anciens, salariés et patrons. Mais l’on est toujours reçu compagnon après l’apprentissage, entre 20 et 30 ans en moyenne. Ce sont des associations de type initiatique : on y est intégré par épreuves formalisées par des rites. Il s’agit de prouver ses qualités professionnelles et morales. La première est celle du travail de réception, ou « chef-d’œuvre », qui peut prendre des formes très variées. Puis le jeune est intégré dans l’association par un rituel de réception à l’issue duquel il reçoit sa canne, ses couleurs (rubans) et un surnom (en général un nom de province suivi d’une qualité, tel « Tourangeau la Fidélité » ou « Guépin la Persévérance »). La pratique du voyage (le tour de France) est essentielle et permet à un jeune de découvrir de nouvelles techniques et de s’ouvrir aux autres. Il est salarié dans diverses entreprises. Dans les villes où il est hébergé au siège de sa société (jusqu’au milieu du XXe siècle, il s’agissait d’hôtels-restaurants dont la patronne prenait le titre de « Mère », car elle accueillait les jeunes comme une mère l’aurait fait envers ses enfants). Le tour de France dure au moins trois ans et parfois sept ou huit. Certains jeunes l’effectuent en partie à l’étranger, où existent des sièges (Allemagne, Belgique, Suisse…). Enfin, comme tout mouvement vieux de plusieurs siècles, le Compagnonnage est divisé en « familles » dotées  de récits légendaires de fondation ; ceux du Devoir ont deux fondateurs, Maître Jacques et le Père Soubise, tantôt associés à la construction du temple de Salomon, tantôt à celle de la cathédrale d’Orléans en 1401 ; ceux du Devoir de Liberté se disent « enfants » du roi Salomon et de l’architecte du temple, Hiram. Les uns et les autres ont des attributs, des rites et des symboles exprimant leurs valeurs d’éducation, leur morale, leur fraternité. Ils sont issus en partie d’un fonds chrétien et en partie (au XIXe siècle) de la franc-maçonnerie. Mais les compagnonnages demeurent des institutions indépendantes des religions et des obédiences maçonniques. Ils ont su s’adapter au fil des siècles à l’évolution technique et aux mentalités, pour constituer des mouvements originaux au XXIe siècle, conciliant la tradition et la modernité, la qualité du travail et les valeurs humaines. Dans notre région, le musée du Compagnonnage de Tours réunit plus de 400 chefs-d’œuvre et présente tous les métiers et tout l’univers des compagnonnages. Son site www.museecompagnonnage.fr  permet d’en savoir plus mais rien ne remplace une visite…