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Marius, ce beauceron miraculé sur la route de Salonique

Auteur : Admin  Créé le : 01/10/2021 09:40
Modifié le : 03/10/2021 13:24
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Note préliminaire. Marius JOUANNEAU, agriculteur beauceron de Villeneuve sur Conie, avait déjà éffectué deux longues années de service militaire quand la grande guerre éclata. Il fut donc maintenu sous les drapeaux. En octobre 1916 il fut affecté à l'armée d'Orient.

Le dimanche 8 octobre il embarquait de Toulon sur le Cross Kill, un navire transport de troupe, de matériel et d'armement qu'un sous marin ennemi va torpiller quelques jours plus tard. Miraculeusement rescapé de ce naufrage, il raconte ci-après ces moments où il a vu la mort de près.

LBE reproduit la  photo de l'original (1ère et 8ème page de la lettre) qu'il adressa à ses parents.

Nous transcrivons à l'identique y compris en reproduisant les fautes d'orthographe ou les expressions du parlé de l'époque les 8 pages de cette lettre

En fin de cet article nous reproduisons les deux cartes postales qu'il adressa à celle qui deviendra son épouse en 1919.

LBE tient à remercier son fils Jean, ancien agriculteur à Pérollet d'avoir communiqué ce précieux document qui mérite d'intégrer la mémoire collective de notre Pays.

Marius JOUANNEAU en 1912 au cours de son service militaire

Première page de la Lettre de Marius à ses parents

 

Samedi, Malte le 14 octobre 1916


 


 

Chers Parents

Vous avez du recevoir la lettre que je vous ai envoyée le 13 de Malte qui était assez brève, seulement pour vous rassurer sur mon sort car je me doute que vous avez pu voir dans le journal qu’un vapeur anglais avait été torpillé et à mon départ de Toulon je vous avais dit que j’étais à bord dudit bateau le ( Crosskil).

Je me repend de vous en avoir fait part, car je vous ai laissé dans la peine en attendant mes premières nouvelles.

Il n’en a rien été pour moi, puisque me voilà sain et sauf.

Nous sommes donc partis de Toulon Dimanche soir à 17 heures. Tout allait bien, la mer calme et par un temps magnifique. Le lundi, le mardi on côtoyait l’Algérie, et le mercredi nous étions en pleine mer. A bord du bateau nous comptions 128 hommes équipage compris, 600 bêtes tant chevaux et mulets et du matériel de guerre, ainsi que du ravitaillement. Tout était paisible, comme l’on déjeunait le matin vers 11 heures, après on allait sommeillé, car il faisait très chaud et rester sur le pont, on était littéralement cuit. Quand tout à coup à 13 heures un coup formidable, une torpille venait frapper le bateau en plein milieu à la ligne de flottaison, dans la machinerie. De tout coté des éclats, le charbon, la fumée c’était le sauf qui peut. Je saute sur ma ceinture en liège que l’on nous avait distribué au départ mais cela était minime, elle pouvait servir qu’au nageur. De ce coté aucun de nous en était.

Sorti de notre cabine nous nous trouvions sur le pont.

Quelle panique ! Plusieurs chevaux avaient été tués, une barque éventrée et une qui était déjà descendue avec une vingtaine d’hommes. Je me précipite dans une autre et nous voilà une cinquantaine dedans. Heureusement qu’un officier anglais, révolver au poing nous fait tous remonter car la barque ne pouvait en contenir qu’une trentaine, nous aurions tous périt. Cela en un clin d’œil, quelques secondes après nous y remontons une trentaine et par une fausse manœuvre la barque n’est détachée que par un bout. Alors presque tous à l’eau, comme je me trouvais par le bout suspendu, j’attrape les cordages et reste là une minute lorsqu’une planche, une claie, comme une claie de parc à peu près de même dimension longeait le bateau. Je me précipite dessus je bois la (tasse) mais je réussis à maintenir la tête au dessus de l’eau. Puis trois camarades viennent prendre le bord, nous nous tenons à la force des poignets car montés dessus nous aurions foncé.

Je n’aurai jamais cru que si peu de chose nous aurait sauvé. On s’écarte comme on peut du bateau, quoique celui-ci a mis une demi heure à disparaitre et encore le sous marin fut obligé de le canoner. Le pirate se trouvait à 400mètres du transport, une fois sur notre claie nous voyons le périscope et peu après son forfait montait à la surface. Il navigua tout autour du bateau attendit 20 minutes et s’ennuyant que celui-ci ne coulait pas il se mit à le canonner par une quinzaine d’obus tout à fait à l’avant. Il pique droit avec un grand fracas, car les mâts

Les explosions et surtout cela que je craignais en étant tout à coté du bateau, par bonheur la torpille n’avait pas frappé dans la cases où se trouvait les munitions sans cela. nous sautions tous.

Comme vous le voyez j’ai toujours eu mon sang froid et bon espoir. Au moment où le sous marin bombardait, je me trouvais entre lui et le bateau.

Lorsque celui-ci fut disparu le pirate s’approcha et j’entendis cette fameuse phrase du commandant qui se tenait sur la passerelle (ça va les gars). C’est la rage plein le cœur que nous avions tous, de ne pas voir un des nôtres venir le faire torpiller à son tour. Enfin il plongea un peu plus loin et disparut. La mer était calme, pas trop de vagues, elle nous avait saisi lorsque nous nous étions jeté à l’eau. De temps en temps on ne pouvait s’empêcher de grelotter car je vous dirai que la tête seule dépassait de l’eau, une vague plus forte que les autres nous faisait fermer la bouche. Tous les naufragés en partie sur des radeaux, des planches des claies il n’y avait eu que deux barques qui avaient pris la mer s’en allaient au gré des vagues nous fûmes dispersés d’un côté et de l’autre. Vers quatre heures un camarade qui était seul sur une claie n’était qu’à une vingtaine de mètres de nous alors on s’approcha de lui et je montais que nous étions tous les deux. A 18heures on aperçoit un transport qui au bout d’une demi heure était parmi nous. Nous nous croyons enfin sauvé. Non il commence par donner la télégraphie recueille une quarantaine de passagers et s’en va, nous restions toujours. Plus tard à Malte j’ai su qu’il avait eu l’ordre de s’en aller, que des secours arriveraient. Enfin par confiance nous nous maintenons, le soleil avait disparu il ne faisait quand même pas trop noir par la clarté de la lune. A 200mètres environ de nous, nous apercevons une épave de bateau, alors en vrai nageur avec tout ce qu’on avait de force sans quitter notre claie nous y parvenons et c’était notre bonheur. Une poutre longue de 4 à 5 mètres avec 4 planches fixées. Nous nous asseyons sur cette poutre et notre claie sous nos pieds nous remontais. Comme celé nous ne fatiguons plus, il nous restait qu’à attendre du secours. Nous avions toujours de l’eau jusqu’aux épaules et de temps en temps la visite des marsouins de ces poissons de 2 à 3 mètres de long, tout cela ne fut rien nous devions être sauvé.

Vers 23 heures un bateau apparait au loin éclairé. C’était un bateau hôpital puis 2 3 4 chaloupiers qui se faisaient des signaux. Tous venaient de front distant les uns des autres ils furent vite sur les lieux. Nous demandons du secours et fûmes entendus.

Le petit remorqueur anglais jeta une barque à la mer et un marin nous pris tous 2 à bord pour nous conduire un instant après sur le remorqueur. Nous étions enfin hors de danger après avoir restès onze heures dans l’eau de 13 heures à minuit.

Une fois sur le bateau sauveur on nous habilla avec des frusques de matelot, pendant que les nôtres séchaient. Nous nous sommes trouver 13 recapés après avoir parcouru la mer jusqu’à 6 heures du matin. Les autres étaient recueillis par d’autres bateaux mais nous fûmes les derniers. Heureusement nous sommes presque tous sauvés.

Lorsque l’on ne vit plus rien on nous emmena à Malte où l’on se rendit le jeudi soir à 18 heures après 12 heures de trajet.

Là on revit les camarades. Quelle surprise et quelle émotion! La plupart on n’est parti à moitié habillé avant de se jeter à l’eau afin de nous alléger ainsi maintenant nous sommes dans toutes les tenues en civil souliers fins casquette etc. Combien de temps allons rester à Malte? Nous ne savons.

 

Marius JOUANNEAU: Miraculé du Croos KILL

Très probablement un transport nous prendra dans son trajet pour Salonique.

Pour le moment nous sommes tous sur un bateau école le Trouville qui est ancré dans le port de Malte. Hier et aujourd’hui samedi un petit canot est venu aborder le Trouville pour nous conduire à terre et d’après les marins nous irons tous les jours. Durant le temps que nous serons là de sorte que le temps nous dure moins que de rester sur le bateau. La ville est beaucoup plus belle que Salonique et assez curieuse. Je vous enverrai quelques cartes vues. Comme c’est une île appartenant aux Anglais on a du mal à se faire comprendre.

Je termine ma lettre pour la mettre au courrier qui doit partir ce soir. Je n’attends pas de vos nouvelles puisque je ne peux vous donner une adresse.

Je vous quitte chers parents, ma chère Thérèse et Simone en pensant que vous êtes comme moi en parfaite santé et en vous embrassant tous bien des fois ainsi que toute la famille.

Signé Marius

Tranquilisez-vous je vous donnerai le plus souvent possible les nouvelles d’ici, ne serait ce qu’une carte tous les jours.

 

Je vous ai envoyé ma montre de Château où je suis sur le Trouville. 

Comme elle s’était arrêtée tellement mouillée, je ne sais si même elle est réparable.

Copie de la 8ème page de la lettre de Marius à ses parents

Carte postale de Malte adressée à Jeanne par Marius

Le 14 octobre 2016

Ma Chère Jeanne

Comme vous pouvez le voir sur la vue de la carte, je vous écris de Malte et non de Salonique où je devais me rendre.

Après 3 jours de route nous avons été torpillé. Il n’en fut pas grand-chose pour moi, puisque je suis sain et sauf.

Je voudrais bien revenir en France pour vous raconter mes impressions de vive voix.

Auprès de mes parents vous aurez davantage de détails leur ayant dit comment cela c’était passé.

En ce moment je suis à bord d’un navire école dans le port de Malte en attendant notre transport à Salonique.

Tous les jours nous allons à terre.

Tout à l’heure à 16 heure il part un courrier d’ici pour la France

J’espère que ma carte ne sera pas longtemps à vous parvenir.

Recevez ma chère Jeanne, mes meilleures amitiés et bons souvenirs

Signé Marius

Carte postale adressée de Salonique par Marius à Jeanne

Le 16 novembre 2016


 

Ma chère Jeanne

Je vous écrit de la guitoune, tout juste à l’abri des intempéries depuis 2 jours il neige et ressentons beaucoup de l’hiver. Comme il n’y a pas de cantonnement les pays étant rares et défectueux on est obligé de se servir de nos toiles de tente comme habitations.

Depuis que j’ai quitté Toulon, je n’ai aucune nouvelle ce dont je comprends qu’avec les divers changements et arrêt à Malte et Salonique, je ne pouvais donner qu’une adresse Indirecte, tant que je ne fusse pas dans une formation.

Je suis au 111ème d’Artillerie depuis une dizaine de jours où la batterie n’a guère d’arrêt puisque les opérations vont bien par ici.

D’avec les russes nous sommes maintenant avec les serbes où ceux-ci font des prisonniers en masse et sommes distant d’une dizaine de kilomètres du Monastir et Kilopo où ces villes ne tarderont pas à être en notre possession. Espérons que cette avance se poursuivra et le retour dans la belle France.

Je termine ma chère Jeanne en attendant le plaisir de vous lire, recevez mes meilleures amitiés et bons souvenirs.

Signé: Marius

111ème Art 5ème batterie

3ème groupe de 105 Secteur 502

 

L’armée d’Orient