Le rôle des ballons captifs en Beauce pendant la guerre de 1870/1871
LBE reproduit ci-après la communication de Jean Marc Rousseau historien local, spécialisé dans la recherche des actions qui ont marqué ce conflit.
Le texte qui suit relate comment l'utilisation des ballons a aidé à la communication et au renseignement militaire
En 1870-1871, le siège de Paris posa un véritable problème de communication entre le Gouvernement de la Défense nationale installé dans la capitale et la Délégation dirigée par Gambetta à Tours. Plus globalement, cette situation créa un problème de transmission du courrier entre les zones occupées et les zones libres. Occupée, la France du nord peinait dans la bataille de la communication.
Diverses solutions furent étudiées pour franchir les lignes : voie terrestre, voie d'eau, voie aérienne.
Par la voie terrestre, les piétons plus ou moins déguisés, franchissant les lignes étaient fusillés comme espions et les chiens dressés spécialement étaient abattus à vue.
Par voie d'eau : 55 boules de Moulins, boules de cuivre étanche, contenant chacune 500 à 600 lettres pour un poids total de moins de 2kg, furent immergées dans la Seine, en amont de Paris, pour être récupérées par des filets. Ce fut un échec complet.
Un fil télégraphique fut immergé dans la Seine, mais il fut très vite repéré par les Allemands
Restait la voie aérienne par des ballons libres et des ballons montés.
Déjà, depuis la Révolution, des ballons captifs avaient été utilisés à des fins militaires, afin d'observer les ennemis. L'image de la bataille de Fleurus, le 26 juin 1794, est particulièrement connue : Un ballon gonflé à l'hydrogène est maintenu par des soldats à 300 mètres d'altitude, monté par deux observateurs qui envoient des messages au sol.
Lors du conflit de 1870, afin de rompre l'isolement de la capitale, des ballons captifs militaires furent achetés par la Poste afin d'acheminer le courrier depuis Paris vers la province.
Parallèlement, malgré plusieurs tentatives, le retour très aléatoire des ballons de la province vers Paris fut un échec total et il fallut recourir à des pigeons voyageurs.
La Beauce fut concernée par ces tentatives d'utilisation des ballons de poste aérienne, car des ballons partis de Paris atterrirent près de Chartres.
Mais également, l' Orléanais fut le théâtre de tentatives d'utilisation de ballons captifs d'observation militaire.
On lira sur ce sujet des ballons montés le livre de Gaston Tisssandier « En ballon ! Les ballons montés pendant le siège de Paris, souvenirs d'un aéronaute» édité en 1871, ouvrage qui relate la naissance de la poste aérienne pendant la guerre de 1870-1871.
Les ballons montés, pionniers de la poste aérienne.
Entre septembre 1870 et janvier 1871, 67 ballons montés décollèrent de Paris. Ils permirent d'acheminer environ 3 millions de dépêches, 164 passagers, 381 Pigeons, 5 chiens
Les ballons fabriqués par la « Compagnie des aérostiers militaires » furent d'abord des ballons captifs de l'armée. Par la suite, des ateliers d'assemblage furent installés gare d'Orléans (gare d'Austerlitz) et gare du Nord .
Les ballons étaient gonflés au gaz d'éclairage.
Le premier vol en ballon eut lieu le 23 septembre 1870. Le 27 septembre un décret autorisa officiellement l'expédition du courrier par aérostats, les plis ne devant pas excéder 4 grammes.
Les ballons atteignaient un volume de 2 000 m3 et ils étaient équipés d' une nacelle dans laquelle prenaient place des aérostiers. Les sacs postaux, les sacs de lest et les cages des pigeons voyageurs étaient suspendus à l’extérieur de cette nacelle.
Les questions du repérage des ballons par les armées allemandes et de leur vulnérabilité aux tirs ennemis était posée. Quelle était la hauteur de sécurité ? Vraisemblablement supérieure à 500 mètres, pour échapper aux premiers essais de tirs de DCA prussienne.
Le 30 septembre 1870, le ballon Le Céleste, piloté par Gaston Tissandier atterrit violemment à Dreux avec 80 kg de courrier et 3 pigeons . Il avait essuyé des tirs de la part des Prussiens et avait volé jusqu'à 1800 mètres.
Durant le vol il avait lancé des journaux de Paris aux paysans, ainsi que des proclamations de propagande en allemand à destination des Prussiens.
Comme on peut le penser l'accueil fut chaleureux et l'acheminement du courrier se fit par chemin de fer jusqu'à Tours.
On entrait ainsi dans une guerre de communication moderne en utilisant tous les nouveaux vecteurs : air, chemin de fer, télégraphe. Alors, comment revenir en ballon à Paris malgré les aléas de la météo ? Une tentative épique mérite d'être relatée .
Revenir en ballon à Paris, mission impossible !
Un ballon Le Jean-Bart, est rapatrié de Tours pour partir de Chartres , le 20 octobre.
On gonfle le ballon. Le préfet intervient pour qu'on éteigne les becs de gaz dans la nuit du 19 au 20 octobre afin de disposer d'assez de gaz pour gonfler le ballon.
A midi, le vent souffle très fort, 30 matelots ont du mal à maîtriser l'aérostat. En outre, les Prussiens approchent , Orléans vient de tomber le 10 octobre, tout comme Châteaudun, le 18 octobre.
A deux heures, face au danger ennemi, un officier vient demander de brûler le ballon et les dépêches si on ne peut partir immédiatement. Ordre est donné d'évacuer Chartres. Le ballon est malencontreusement endommagé par une rafale .On le cache derrière un tas de charbon.
Malgré les ordres, on cherche une voiture pour sauver le matériel. Les loueurs refusent.
A dix heures du soir on part dans un omnibus et une charrette avec le ballon mais l'équipage est arrêté par des gardes nationaux.
A une heure du matin, on arrive enfin à Dreux mais l'hôtelière refuse d'accueillir l'équipage jusqu'à ce qu'interviennent des militaires.
Après de multiples pérégrinations , le ballon est de retour à Tours deux jours après .
Le 3 octobre, le vent est favorable pour espérer rejoindre Paris.Départ à 11 heures, mais le vent change de direction et c'est l'échec.
Le vol Paris-Province, souvent périlleux.
Autre tentative, Paris-Province, Le Galilée, avec un aéronaute et un passager , parti de la gare du Nord, atterrit le 4 novembre à Fresnay-le-Gilmert à 8 km de Chartres avec 420 kg de courrier et 6 pigeons. Il fut capturé mais un sac de courrier échappa aux Prussiens.
L'aéronaute et les dépêches furent arrêtés et confisqués. Le passager put s'échapper.
Toutefois, la commune fut soumise à une contribution pour attitude menaçante lors de la saisie.
Des pigeons lâchés en Beauce pour informer les Parisiens.
Parallèlement, les lâchers de pigeons acheminés par ballon depuis Paris avaient lieu au plus près de Paris, en fonction de l'avancement des Prussiens :
La Loupe, Nogent-le-Rotrou, Artenay, Cercottes, Chevilly, Blois, Beaugency, Ormes. Ces malheureux et précieux volatiles étaient exposés à de multiples dangers : les Prussiens qui lâchaient des aigles, les paysans qui y voyaient une possibilité de repas .
En outre, plus le front s'éloignait de Paris, plus la distance à parcourir s'amplifiait et accroissait la fatigue des oiseaux. Aussi, tous les retours de pigeons à Paris furent-ils considérés comme des exploits.
En effet, les pigeons étaient porteurs de microfilms. Chaque pellicule était la reproduction de 12 à 16 pages d'imprimerie, contenant en moyenne 3 000 dépêches. La légèreté des pellicules était telle qu'on pouvait en mettre 18 sur un seul pigeon, soit plus de 50 000 dépêches, pesant ensemble moins de 1 gramme.
On roulait les pellicules dans un tuyau de plume d'oie ou de corbeau qu'on attachait à la queue du pigeon. Ensuite on lisait ces microfilms agrandis .
Pour en savoir plus, lire : « La poste par pigeons voyageurs » . M. DAGRON
A Paris, lecture des microfilms acheminés par les pigeons.
Des ballons captifs : trop tard sur le champ de bataille.
Passons maintenant aux tentatives d'utilisation militaire des ballons captifs, notamment avec l'expérience d 'aérostation à Gidy, du 16 au 29 novembre 1870.
Le 15 novembre, un train spécial amenait à Orléans un ballon en soie, un ballon de rechange
en coton et huit aéronautes.
Un premier ballon captif, le « Ville de Langres » fut essayé le 17 novembre. Il fut gonflé à l'usine à gaz d'Orléans, retenu et remorqué par 150 hommes, il fut lentement acheminé au nord de la ville à Saran, au château du Colombier. Deux compagnies de soldats avaient été mobilisées pour retenir le ballon et le conduire en suivant la voie de chemin de fer jusqu'à un champ à Saran, près d'une maison de cantonnier qui servit de poste télégraphique
Il avait fallut résoudre les problèmes posés par les obstacles, ponts, lignes télégraphiques rencontrés lors de la progression.
Pour passer chaque clôture ou haie, il fallait lâcher successivement trois des quatre câbles retenant le ballon. Enfin l'ascension eut lieu jusqu'à 200 mètres.
Un appareil Morse était installé dans la nacelle, un fil télégraphique descendait jusqu'à terre et communiquait à un autre fil qui allait jusqu'à Tours. On échangea des dépêches. L' enthousiasme des militaires fut grand, tout comme celui des Orléanais, devant ce factionnaire qui montait la garde à 200 mètres de hauteur.
Le général d'Aurelle de Paladines, en visitant les travaux de défense d'Orléans le 18 novembre, fut témoin, à Gidy, du second essai essai organisé par M. Steenackers, directeur général des Postes et Télégraphes. L'objectif était de réutiliser ainsi les ballons qui avaient servi à expédier les dépêches de Paris à la délégation de Tours, puisque ces ballons ne pouvaient pas revenir vers Paris malgré toutes les tentatives. Le 22 novembre, le ballon fut envoyé au château du Colombier, à une lieue et demie d'Orléans.
Dans son ouvrage, « La première armée de la Loire » consultable sur Gallica, le général d'Aurelle évoque ces essais :
« En visitant les travaux de défense, le général en cher fut témoin, près de Saran, du premier essai fait par M. Steenackers pour utiliser les ballons qui avaient servi à expédier les dépêches de Paris à la délégation de Tours...Il fallait pour le succès de cette entreprise choisir des positions dominant le pays. Ces ballons étaient retenus captifs ; un système de poulies permettait de les élever ou de les abaisser à volonté.
Ils devaient être montés par des observateurs habiles ou des officiers d'état-major munis de bonnes lunettes d'approche, pour découvrir l'ennemi aussi loin que possible, et de tout ce qui était nécessaire pour faire des levées à vue.
Pour manœuvrer ces ballons, une compagnie se trouvait distraite de tout autre service.
Il fallait en outre, pour pouvoir faire des observations, un temps clair et favorable.
Ces expériences ne réussirent pas, on dut y renoncer. »
On ne peut être plus laconique sur cette entreprise. Pourtant d'autres tentatives furent réalisées lors de la retraite sui suivit la bataille de Loigny.
On notera que le Journal du Loiret publia le 21 novembre un court entrefilet dans la rubrique locale : « Arrivée d'un ballon chargé de correspondances . L'aérostat a été vu planant au-dessus d'Orléans dans la journée de samedi ( 19 novembre). On ne sait pas encore d'une manière bien précise où il est tombé, mais on dit que son atterrissage se serait heureusement effectué au bord de Loire ». Or, aucun ballon monté ne s'est posé à Orléans, aucun diariste n'a évoqué cet événement. On peut penser, que le journal a confondu, un essai de ballon captif avec la venue d'un ballon monté. Curieusement, aucune suite ne sera donnée dans les jours suivants à cet article, ni confirmation, ni démenti. De même, aucun chroniqueur n'a relaté dans son journal, les essais effectués par l'armée.
Le 29 novembre, avec une seconde équipe, on gonfla le Jean-Bart. Des difficultés administratives furent rencontrées pour obtenir le gaz . Qui allait payer la note de gaz ? Personne ne désirait assumer le montant de la facture .Toutefois, les habitants d'Orléans regardaient ce ballon avec admiration.
Mais le vent soufflait très fort. Il fallut une heure pour parcourir 2 km en direction du nord. Après que le ballon eut rejoint le Ville-de-Langres, au château du Colombier, ordre fut donné, par les autorités militaires, de transporter le ballon au camp de Chilleurs à 12 km. Puis le 30 novembre , on marcha jusqu'à Chanteau. Le ballon ne monta que de quelques mètres puis il fut crevé dans un chêne. Arrivé à Rebréchien, le ballon continuait de se dégonfler malgré une réparation. Trop endommagé par la tempête, il fut replié.
On prépara un nouveau ballon « La République Universelle » . Toutefois, il ne pouvait être gonflé à Orléans faute de gaz avant le 3 décembre. Toutefois, le soir, le le ballon gonflé quittait Orléans et arrivait au château du Colombier à la tombée de la nuit, avec pour mission de rejoindre Chilleurs
Date fatidique ! Le 2 décembre les troupes françaises subirent la terrible défaite de Loigny.
Le sort de la bataille aurait-il été changé si on avait pu observer le champ de bataille le 2 décembre ?
Après cette défaite ordre fut donné de replier le ballon et de le transporter au sud de la Loire. On pourrait se livrer à un petit exercice d'uchronie. Si le ballon captif avait été présent, si les généraux étaient entres en communication entre eux, si la délégation de Tours avait été informée en temps réel du déroulement de la bataille les Français aurait-ils gagné à Loigny-Lumeau-Poupry ? Si on se souvient que pendant la guerre de Sécession les Américains étaient parvenus à des résultats très positifs grâce aux ballons captifs, on peut regretter cette faillite de tentatives françaises trop tardives.
F.F. Steenackers, les directeur général des télégraphes et des Postes en 1870 a relaté minutieusement ces expériences dans son ouvrage « Les télégraphes et les postes pendant la guerre de 1870-1871 » publié en 1883, accessible sur le site Gallica.
jeanmarc.rousseau@sfr.fr